Référentiels – des sources légales des droits international et national

A la suite des articles Neuf essentiels – Pour comprendre les « droits culturels » et le droit de participer à la vie culturelle, Référentiels – Le droit à la culture, Céline Romainville et Référentiels – les droits culturels, le Groupe de Fribourg avec Patrice Meyer-Bisch et Référentiels – démocratie culturelle et démocratisation de la culture, nous poursuivons notre chantier reprenant les différents référentiels des droits culturels en vue de les présenter sommairement et les mettre en dialogue pour faire culture commune autour des droits culturels. Quatrième référentiel : des sources issues des droits international et national pour penser les droits culturels.

En Fédération Wallonie-Bruxelles, les différents référentiels des droits culturels précédemment évoqués et que l’on retrouve cités dans le décret des Centres culturels du 21 novembre 2013 et par divers acteur·ices du secteur et au-delà, sont tirés de multiples sources éparpillées de droits international et national. Les travaux de Céline Romainville et du Groupe Fribourg constituent ainsi des efforts de synthèse et de clarification de ces différents sources des référentiels des droits culturels. Reprenons quelques-unes de ces sources les plus emblématiques.

1948, Déclaration Universelle des droits de l’homme (dudh)

Pour l’historique, comme le précise l’ONU, le 10 décembre 1948, les 58 États Membres de l’ONU qui constituaient alors l’Assemblée générale ont adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) à Paris au Palais de Chaillot. Ce document fondateur – traduit dans plus de 500 langues différentes – continue d’être, pour chacun·e d’entre nous, une source d’inspiration pour promouvoir l’exercice universel des droits humains.

Le texte est une déclaration, c’est-à-dire que ce type d’instrument juridique est un énoncé de principe tenu comme universel. À la différence d’une convention, une déclaration n’est pas un accord par lequel les États s’engagent en droit international. Contrairement aussi aux conventions, les déclarations ne sont pas ratifiées par les États, et n’exigent pas que les États soumettent des rapports sur leur mise en vigueur. Même si elles n’ont pas force obligatoires en droit international, les déclarations – et notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme – s’entourent d’une autorité morale très importante. La Déclaration universelle est perçue comme l’énoncé le plus clair et le plus vigoureux des principes universels des droits de la personne sur la scène internationale1.

Le texte énonce les droits fondamentaux de l’individu, droits inaliénables et inviolables de tout être humain, ainsi que la reconnaissance et le respect de ces droits par la loi. Il comprend un préambule avec huit considérations reconnaissant la nécessité du respect inaliénable de droits fondamentaux de l’homme par tous les pays, nations et régimes politiques, et qui se conclut par l’annonce de son approbation et sa proclamation par l’Assemblée générale des Nations unies. La Déclaration comprend 30 articles qui consacrent chacun un droit ou une liberté fondamentale. Elle reconnaît les droits civils et politiques, économiques, culturels et sociaux de chaque être humain.

En matières de droits culturels, deux articles sont à retenir en particulier. L’article 22 stipule que « toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction de droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation des ressources de chaque pays. » Comme l’indique Céline Romainville dans le Neuf Essentiels, il s’agit ici de la première citation des droits culturels rapprochés des droits économiques et sociaux en tant qu’ils sont des droits-créances. Autrement dit, il s’agit de droits dont le bénéfice est soumis à la condition de ressources suffisantes de l’État, à la différence des droits-libertés avec les droits civils et politiques qui protègent la personne, ses biens et lui garantissent l’exercice de sa citoyenneté.

L’article 27 de cette déclaration établit que : « 1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. 2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. » Selon Céline Romainville, avec cet article, est reconnu pour la première fois en droit international le droit de participer à la vie culturelle (article réf) et ce, dans un sens assez large puisqu’il est question de vie culturelle, en ce compris notamment les arts mais aussi des avancées scientifiques et de la vie culturelle plus large également. Un point de débat tient à la reconnaissance des droits d’auteur en tant que droits humains ou bien davantage qu’ils présentent un caractère d’intérêt privé et professionnel. Nous renvoyons vers l’ouvrage Neuf Essentiels pour un plus long développement.

1966, « CHARTE INTERNATIONALE DES DROITS DE L’HOMME » ET pACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

En décembre 1966, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté deux traités internationaux qui ont également façonné le droit international des droits de l’homme : le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques . Ces documents sont souvent appelés les « Pactes internationaux ». Ensemble, la Déclaration universelle et ces deux Pactes forment la Charte internationale des droits de l’homme.

Contrairement à la Déclaration, les deux pactes des droits civils et politiques, ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels sont contraignants. C’est dire que les pactes identifient les responsabilités qui incombent aux États pour respecter, protéger et réaliser les droits civils et politiques, ainsi que les droits économiques, sociaux et culturels. Comme le précise le site du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits humains (OHCHR), cela veut que les textes engagent leurs signataires à des obligations de :

  • Respect : les États doivent s’abstenir d’interférer directement ou indirectement avec ces droits. Par exemple, l’État ne doit pas torturer ni réduire en esclavage. L’État ne peut pas obliger à travailler dans une région qui n’a pas été librement choisie ou empêcher de parler sa/ses langues.
  • Protection : Les États doivent prendre des mesures pour s’assurer que d’autres entités, comme des entreprises, des groupes politiques ou d’autres personnes, n’interfèrent pas avec ces droits. Par exemple, l’État doit empêcher les discours de haine en raison de l’origine ou de l’identité. En outre, l’État doit s’assurer que les entreprises privées offrent un salaire équitable pour le travail et ne donnent pas des salaires différents aux hommes et aux femmes qui font le même travail.
  • Réalisation : Les États doivent prendre des mesures pour réaliser les droits. Par exemple, l’État doit fournir des services d’interprétation pendant les procès si l’accusé ne peut pas parler la langue parlée au tribunal. L’État doit prévoir le budget nécessaire pour que chaque personne puisse accéder aux médicaments et être à l’abri de la faim.

En particulier, l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) reprend les points de l’article 27 de la DUDH. Comme le précise Céline Romainville (réf), l’article cite, au rang des « droits culturels » : le « droit de participer à la vie culturelle », « le droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications », « le droit de bénéficier de la protection de ses intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique et la liberté scientifique et culturelle. ». Pour étayer les éléments et les obligations contraignantes, nous renvoyons aux développements repris dans le Neuf essentiels, notamment en matière de droit de participer à la vie culturelle, de droit de bénéficier des progrès scientifiques et de ses applications, de droit de protection des auteur·ices.

1993, la constitution belge

Au niveau belge, il faudra attendre 1993 et la réforme institutionnelle pour que les droits culturels soient introduits à l’article 23 de la Constitution belge, en tant que « droit à l’épanouissement culturel et social ». Dans le texte repris par Céline Romainville dans le Neuf Essentiels, « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice. Ces droits comprennent notamment : (…) 5° le droit à l’épanouissement culturel et social. »

Dans une analyse plus spécifique, « Contenu et effectivité du droit à l’épanouissement culturel », Céline Romainville revient sur cet article 23 de la Constitution : « Le droit à l’épanouissement culturel est consacré par la Constitution belge et par des textes internationaux de protection des droits de l’homme. Malgré leur manque de précision et le peu d’informations disponibles, l’on peut tirer du prescrit constitutionnel des travaux préparatoires, des arrêts de la Cour constitutionnelle et de l’analyse des textes internationaux que le droit à l’épanouissement culturel est le droit de participer à la diversité culturelle, et notamment à la vie culturelle de sa communauté, c’est-à-dire le droit de recevoir les moyens culturels et financiers pour accéder aux cultures et s’exprimer de manière artistique.

Les titulaires de ce droit sont les citoyens et c’est aux pouvoirs publics qu’il incombe de le concrétiser. Le droit à l’épanouissement culturel impliquant le droit d’accéder à la diversité culturelle, les pouvoirs publics ont le devoir de soutenir celle-ci, dans les limites du raisonnable. »

Au cours de son analyse, Céline Romainville tire un constat quant à l’effectivité de ce droit à l’épanouissement qui résonne avec le chantier référentiel qui nous occupe : « Le droit à l’épanouissement culturel en tant que tel n’a donc pas trouvé de formidable écho près des juges ou des législateurs. Cependant, la logique de démocratisation et de démocratie culturelle qui l’anime est bien présente dans l’esprit de nombreuses initiatives prises par les législateurs communautaires. Ainsi, en Communauté française, les initiatives progressent. Les bibliothèques, médiathèques, centres culturels et associations de promotion de la culture sont d’excellentes réalisations qui rendent la culture indiscutablement plus accessible et permettent à tous de participer. A tout le moins, l’insertion du droit à l’épanouissement culturel érige en objectif constitutionnel la poursuite de la démocratisation culturelle.

Ces effets juridiques tendent, peu à peu, à la mise en œuvre effective du droit de s’épanouir dans la culture. Il faut espérer que les pouvoirs publics, conscients de l’importance de ce droit fondamental, mettent à profit la latitude qui leur est laissée par la Constitution et imaginent des solutions nouvelles. Ils contribueraient ainsi au développement d’une véritable démocratie culturelle. Et même s’ils oublient de consacrer explicitement ce droit en tant que tel, l’objectif de démocratisation culturelle et de démocratie culturelle imprègne déjà largement les politiques culturelles. Comme objectif constitutionnel, le pari du droit à l’épanouissement culturel est en voie d’être réussi. Mais il reste du chemin à ce droit constitutionnel pour qu’il soit totalement effectif, pour les juges, pour tous les législateurs, et tous les citoyens. »

2005, Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, Unesco

Dans l’article de présentation de la Convention, l’UNESCO explique que les secteurs culturel et créatif sont devenus essentiels à une croissance économique inclusive, réduisant les inégalités et réalisés les objectifs fixés dans le Programme de développement durable pour 2030. L’adoption de la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a marqué un tournant pour la politique culturelle internationale. A travers cet accord, a été reconnu la double nature, à la fois culturelle et économique, des expressions culturelles contemporaines produites par les artistes et les professionnels de la culture. En reconnaissant le droit souverain des États de conserver, d’adopter et de mettre en œuvre des politiques visant à protéger et à promouvoir la diversité des expressions culturelles, tant sur le plan national que sur le plan international, la Convention de 2005 aide les gouvernements et la société civile à trouver des solutions politiques aux défis émergents. Basée sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales, la Convention de 2005 fournit en fin de compte un nouveau cadre pour des systèmes de gouvernance de la culture informés, transparents et participatifs.

Selon l’Observatoire de la diversité et des droits culturels de Fribourg, « la diversité des expressions culturelles est un patrimoine vivant à reconnaître, protéger et valoriser au service des personnes et de leurs sociétés. Cette diversité de ressources culturelles compose une richesse qui « élargit les choix possibles, nourrit les capacités et les valeurs humaines , (…) elle est donc un ressort fondamental du développement durable des communautés, des peuples et des nations« . Sa protection et sa mise en valeur requièrent une action participative et collective, importantes pour la « pleine réalisation des droits de l’homme » et « pour la cohésion sociale en général« . La vision est donc large et transversale et ne se réduit pas aux activités artistiques, mêmes si celles-ci sont en première ligne dans la Convention. Outre les libertés d’expression spécifiquement visées, c’est l’effectivité du droit de participer à la vie culturelle qui est directement en jeu, un « panier » de droits culturels, au cœur de l’ensemble des droits humains.»

Selon Céline Romainville, dans le Neuf essentiels, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée le 20 octobre 2005 reconnaît indirectement le droit de participer à la vie culturelle dans le rappel des droits culturels et dans le principe de l’ »accès équitable à une gamme riche et diversifiée d’expressions culturelles provenant du monde entier et l’accès des cultures aux moyens d’expression et de diffusion. D’autres conventions relatives au patrimoine culturel, émanant notamment de l’ONU ou de Conseil de l’Europe, consacrent également, de manière directe ou indirecte, des éléments du droit de participer à la vie culturelle.

A noter que dans ces conventions et dans d’autres sources internationales du droit de participer à la vie culturelle, il faut souligner que la portée de ces textes n’est pas figée. Ainsi, par exemple, le droit de participer à la vie culturelle est peu à peu reconnu dans la jurisprudence de la Cour européen des droits de l’homme même s’il n’est pas consacré en tant que tel dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Selon Michaël Oustinoff, dans son article « Les points clés de la Convention sur la diversité des expressions culturelles », la Convention « ne concerne pas tous les aspects de la diversité culturelle. Néanmoins, elle présuppose la reconnaissance, à terme, du droit à la diversité culturelle à l’intérieur de chaque État signataire, avec toutes les implications politiques que cela entraîne. C’est là sa force mais également sa faiblesse : elle dépend de la volonté des États. Et, à parcourir le Rapport mondial sur le développement humain, 2004, du Pnud il n’est pas sûr que celle-ci soit toujours très affirmée. Bien au contraire ! Voilà pourquoi l’Unesco a bien fait de mettre en place des « mécanismes de suivi » (Conférence des parties, Comité intergouvernemental) et un « organisme de règlement des différends ». Pour que la Convention, sous sa forme actuelle, marque véritablement un tournant, encore faut-il que les États s’en donnent les moyens. »

2009, Observation générale n°21, Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Ce texte revient sur l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il précise entre autres le contenu normatif propre aux différents éléments du droit de participer à la vie culturelle, par exemple quant à des enjeux de disponibilité, d’accessibilité, d’acceptabilité, d’adaptabilité et d’adéquation. En soulignant les liens avec les autres droits humains reconnus dans les instruments internationaux, le texte souligne certaines limitations possibles. Par la suite, il dégage des thèmes spéciaux de portée générale (non-discrimination, égalité de traitement). Il distingue des personnes et communautés ayant besoin d’une protection spéciale (femmes, enfants, personnes âgées, personnes handicapées, minorités, migrant·es, peuples autochtones, personnes vivant dans la pauvreté). En ce sens, des rapports sont établis entre diversité culturelle et droit de participer à la vie culturelle.

Enfin, l’Observation insiste sur les obligations des États parties, qu’il s’agisse d’obligations juridiques générales et spécifiques, d’obligations fondamentales ou internationales, ainsi que lors de la mise en œuvre au niveau national. Le texte précise également les violations possibles lorsque les obligations ne sont pas acquittées par les États parties. Plus largement, l’Observation clôture sur les obligations des acteur·ices autres que les États parties, en particulier les membres de la société civile, le secteur privé et les organisations internationales.

Pour Céline Romainville, dans le Neuf Essentiels, l’Observation générale 21 reflète l’extension de l’objet du droit de participer à la vie culturelle. Ce texte repose sur une conception très large de la culture, insatisfaisante d’un point de vue juridique. L’Observation est cependant uniquement un instrument interprétatif du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, elle ne peut être considérée comme indépassable.

Pour Luc Carton, comme il l’indique en conclusions du livret Comment observer l’effectivité des droits culturels?, l’Observation en écho avec la Déclaration de Fribourg ouvre la définition de la culture au-delà du clivage entre secteur/champ des Beaux-Arts et du Patrimoine, et « société des loisirs » pour proposer une définition plus anthropologie et élargie. Plus fondamentalement et en écho avec le décret des centres culturels, il faut alors articuler au sein d’une architecture plus globale les différentes définitions qui sont données dans l’article 1er 5° et 9°, entre droits à la culture et droits culturels, ainsi qu’à l’article 2 donnant les principes, missions et moyens sous l’influence de la démocratie culturelle.

Référentiels – Démocratie culturelle et démocratisation de la culture

A la suite des articles Neuf essentiels – Pour comprendre les « droits culturels » et le droit de participer à la vie culturelle, Référentiels – Le droit à la culture, Céline Romainville et Référentiels – les droits culturels, le Groupe de Fribourg avec Patrice Meyer-Bisch, nous poursuivons notre chantier reprenant les différents référentiels des droits culturels en vue de les présenter sommairement et les mettre en dialogue pour faire culture commune autour des droits culturels. Troisième référentiel : les notions de démocratie culturelle et de démocratisation de la culture.

En Fédération Wallonie-Bruxelles, les deux notions de démocratie culturelle et de démocratisation de la culture sont citées notamment dans le décret des Centres culturels du 21 novembre 2013 et par divers acteur·ices du secteur et au-delà. Dans le décret, les deux notions sont explicitées dans les définitions de l’article 1, 6° « démocratie culturelle : la participation active des populations à la culture, à travers des pratiques collectives d’expression, de recherche et de création culturelles conduites par des individus librement associés, dans une perspective d’égalité, d’émancipation et de transformation sociale et politique » et 7° « démocratisation culturelle : l’élargissement et la diversification des publics, le développement de l’égalité dans l’accès aux œuvres et la facilitation de cet accès ». Par la suite, elles sont reprises à l’article 9 dans les visées de l’action culturelle générale : « L’action culturelle générale vise le développement culturel d’un territoire, dans une démarche d’éducation permanente et une perspective de démocratisation culturelle, de démocratie culturelle et de médiation culturelle. » Ces deux notions de démocratie culturelle et démocratisation culturelle sont donc les cadres dans lesquels les actions culturelles menées par les centres culturels doivent s’inscrire. Reste à voir plus précisément ce qu’elles recouvrent.

Pour ancrer les notions dans l’histoire, ici celle des centres culturels

L’exposé des motifs du décret du 21 novembre 2013 des centres culturels disponible ci-dessus font référence aux notions de démocratisation de la culture et de démocratie culturelle en tant qu’elles sont des objectifs à l’origine de l’apparition, puis du développement et de la structuration des centres culturels, tout en restant d’une indéniable actualité.

En retraçant l’historique des centres culturels, ce texte nous expose entre autres que dès la création du Ministère de la Culture en 1965 et l’adoption d’une politique culturelle globale et autonome, deux tendances se conjuguent en matière de politiques culturelles. D’une part, la tendance de l’accès de tous à la culture, en veillant à garantir à chacun·e d’y accéder, sans distinction d’âge, de sexe, de classe sociale, de niveau d’instruction ou de lieu d’habitation. Pour satisfaire cette ambition, cela impliquait de renforcer à la fois la décentralisation et la démocratisation afin de concrétiser un droit d’accès aux biens culturels.

D’autre part, dès 1969, s’ajoute le « droit d’accès à une citoyenneté active dans tous les domaines » qui est porté par Marcel Hicter, alors membre du Ministère de l’Éducation nationale et considéré comme l’un des pères fondateurs de la seconde tendance des politiques culturelles. Cette tendance est celle visant l’instauration d’une démocratie culturelle. En effet, pour Marcel Hicter et d’autres, la politique culturelle n’avait jusqu’alors fait que favoriser les déjà favorisés de l’instruction. Malgré l’effort de démocratisation de la culture, la politique culturelle n’avait pas encore abordé les véritables freins pour permettre également aux milieux populaire de faire advenir leur propre culture.

Le plan quinquennal de politique culturelle publié sous la direction du ministre de la Culture Pierre Vigny en 1968 incarnait ces deux tendances en proposant notamment un dispositif général en faveur des centres culturels. L’influence française est prégnante dans la référence qu’il y a entre les centres culturels et les « maisons de la culture » mises en place par le Ministre de la Culture André Malraux en 1959. Cependant, la notion de centres culturels a une signification plus large qu’en France, puisque l’enjeu n’y est pas uniquement celui de l’accès aux manifestations artistiques de très haute qualité mais aussi celui de la participation active des populations à des manifestations culturelles ainsi que celui du développement des talents des amateurs. A cela s’ajoute l’enjeu de participer activement à la vie culturelle, ceci en coordonnant les actions des différentes institutions d’éducation populaire.

Par la suite, l’Arrêté royal du 5 août 1970 poursuivra sur base des deux notions en intégrant la concertation comme principe essentiel de réglementation. Concertation autant au sein des instances du centre culturel lui-même, que concertation avec la population en vue de l’élaboration du projet culturel. Qui plus est, le modèle d’organisation proposé est innovant du point de vue démocratique dans la mesure où la gestion conjointe et pluraliste du centre culturel revient à la fois aux représentant·es des pouvoirs publics et à celles·ceux issus du secteur associatif de terrain, assurant ainsi une forte légitimité aux associations. Au passage, les deux notions de démocratie culturelle et démocratisation de la culture se raffinent : pour la première, l’enjeu devient de favoriser la participation et l’expression individuelle et collective, pour la seconde, l’enjeu tient à l’accès aux œuvres du patrimoine.

Le développement important du secteur n’aura de cesse d’amplifier et concrétiser les deux notions, en témoigne le décret du 28 juillet 1992 qui vient fixer les conditions de reconnaissance et de subvention des centres culturels. Le décret du 21 novembre 2013 visera alors à actualiser les dispositions légales face aux modifications du paysage culturel, de l’environnement institutionnel, social et économique. Outre les réajustements des procédures de financement, ce décret tâche de fournir en particulier un référentiel commun qui soit davantage incarné dans les pratiques. C’est à cet effet que les référentiels du droit à la culture et des droits culturels apparaîtront plus précisément dans le texte légal ainsi que verra le jour une méthodologie de travail – « la boucle procédurale » – permettant de traduire en pratique les référentiels.

Pour mieux comprendre les deux notions

Pour appréhender la signification des notions de démocratie culturelle et démocratisation de la culture, nous reprenons aux doubles-numéros Repères 4-5 que l’Observatoire des politiques culturelles de la FWB a consacré aux deux notions grâce à l’apport des recherches de Céline Romainville. Nous reprenons des passages et invitons à consulter le livret riche en éléments contextuels et clés de compréhension des notions disponible sur le site de l’OPC de la FWB.

La chercheuse part des usages de ces deux notions dans la littérature francophone relative aux politiques culturelles entre 1960 et 2010. Il s’agit alors d’un panorama de différents usages culturels et politiques, idéologiques et mythologiques des deux notions, en retraçant l’évolution de ces deux paradigmes telle qu’elle apparaît dans la littérature politique, sociologique ou juridique de langue française.

  1. Les prémices : le débat sur la généralisation de l’instruction publique, les arts et la politique, les grandes expositions. La notion de démocratisation de la culture s’est développée, d’un côté, dans la continuité de l’argumentation de Condorcet pour généraliser l’instruction publique ; de l’autre, la notion tire son origine des grandes initiatives publiques mises en œuvre dans la deuxième moitié du XIXe siècle (grandes expositions universelles, théâtre populaire…). En Belgique, selon Hugues Dumont1, une véritable politique de démocratisation de la culture n’a été mise en œuvre qu’à partir de la reconnaissance de l’autonomie culturelle aux communautés, soit les années 1960-1970. Avant cela, les politiques publiques nationales ont pour principal objet la conservation du patrimoine artistique et le soutien aux arts.
  2. Les origines contemporaines de la « démocratisation de la culture ». Selon Jean-Claude Wallach2, le thème de la démocratisation de la culture se serait forgé, en France, dans les années cinquante, quand des militants culturels participent à la construction d’un maillage d’institutions et d’associations qui formeront les bases d’une politique d’émancipation par la culture. La personnalité d’André Malraux est importante dans la conception d’une réelle politique de démocratisation de la culture, néanmoins son projet reste ambivalent : Malraux voulait-il rendre la culture « disponible » et non pas accessible ? Comme si la mise en présence, le contact avec l’œuvre suffisait pour construire « un lien symbolique entre les hommes qui en partagent les effets sensibles »3 ?
  3. Les hiérarchies fondatrices de la démocratisation de la culture. C’est sur la base de plusieurs hiérarchies esthétiques que s’est construite la politique de démocratisation de la culture dans les années soixante :
    • Première hiérarchie : prééminence de la « révélation » sur l’éducation, la médiation ou la contamination. Il n’y aurait ainsi nul besoin de passer par la médiation du concept parce que l’œuvre se suffit à elle-même. L’effet pervers est que la sensibilité artistique ne dépend en aucune façon de l’éducation ni de l’instruction reçue, et donc de l’appartenance à une classe sociale bien précise. La conséquence de cette prééminence est que l’éducation ou la médiation s’est développée à l’écart, voire à l’encontre, du monde de l’école.
    • Deuxième hiérarchie : la prééminence des pratiques artistiques et collectives sur les pratiques individuelles. Cela reste à nuancer car si la politique de démocratisation de la culture aura été développée en un sens collectif, par exemples lors des grandes expositions, des exemples attestent de pratiques individuelles, comme le Réseau de Lecture publique ou bien le domaine de la radio ou de la télévision.
    • Troisième hiérarchie : la prééminence des « arts majeurs » et professionnels sur les « arts mineurs » et amateurs. L’idée est que la politique de démocratisation se serait résolument orientée vers une politique de soutien à la création, à la diffusion et à leurs acteurs. Plus rarement, cette politique aurait été pensée en relation avec l’éducation artistique, vers la stimulation de la demande, vers l’expression amateure ou vers la diversification des espaces de diffusion. En Belgique, selon Jean-Louis Genard4, ce serait surtout par des politiques de création d’un réseau d’institutions culturelles de proximité (maisons culturelles et foyers culturels notamment) que s’est construite la démocratisation de la culture. La création de ces institutions se serait réalisée à partir d’une délégation de missions de service public à maillage institutionnel dense, créant ainsi, dans le champ culturel, un tiers secteur.
  4. Mai 68 : la mobilisation du concept de démocratie culturelle en rupture avec la politique de démocratisation de la culture. Dans l’esprit de mai 68 la conception de l’art et de son rôle sont mises en question dans la société, en mettant l’accent sur les processus sociaux, participatifs et politiques de la création et l’action culturelles. La démocratie culturelle entendrait alors assurer une reconnaissance des productions culturelles populaires ou minoritaires face à des standards culturels considérés comme liés aux classes dominantes, contribuant ainsi à la reproduction des inégalités sociales.
    • Les contestations fondatrices de la démocratie culturelle. Cette notion se serait affirmée sur une critique de la politique de démocratisation de la culture et plus encore sur la contestation de la représentation du phénomène culturel et sur une conception plus radicale, sociale et participative de la culture, ainsi que d’une contestation du phénomène de la consommation culturelle. Les tenants de la démocratie culturelle reprennent à leur compte l’héritage de l’éducation populaire, ainsi que l’héritage culturel de la résistance conçu et expérimenté pendant la seconde guerre. En réalité, sont davantage critiqués les finalités et « le contenu » de l’entreprise de démocratisation plus que la nature elle-même de cette démarche. Pour autant, est aussi contestée la conception de la culture sous-jacente à la démocratisation culturelle : au-delà des Beaux-Arts, il s’agit de renvoyer la culture à la définition qu’en donne la population. Enfin, la démocratie culturelle s’est nourrie d’une critique radicale de la consommation culturelle et de la culture « de masse », consommation jugée comme passive, purement réceptive, non critique, abrutissante et démobilisante.
    • Sur ces bases, la démocratie culturelle vise à remettre en cause les structures idéologiques. Il s’agit de repartir d’une autre conception de la culture, conçue comme un processus politique, social et participatif : celui de la démocratie. « L’action culturelle » appelle une forme de politisation des consciences, c’est-à-dire non seulement à mettre les gens en mesure de se politiser ainsi qu’à favoriser l’éclosion de toutes les cultures face à la société de consommation, en sollicitant également la participation à l’expression et à la critique. L’objectif est de changer la société en enracinant la culture dans tous les aspects de la vie quotidienne, de développer les êtres humains, de revivifier les relations sociales, de faire place à l’expression et de la transformer en une action, en un engagement, en projets collectifs et novateurs. L’animation culturelle et l’éducation permanente, non plus comprises comme une école hors ou après l’école, sont alors les vecteurs particulièrement privilégiés de cette nouvelle philosophie de l’action culturelle et sociale. Selon Jean-Louis Genard4, le déploiement de la démocratie culturelle est passé par la création d’un maillage culturel considérable où se cotoient les maisons de jeunes, maisons de la culture et foyers culturels, centres d’expression et de créativité, télévisions locales et communautaires.
  5. La réorientation de la politique de démocratisation de la culture. Après ces contestations, la démocratisation de la culture serait alors réorientée vers une lutte plus ciblée contre les inégalités sociales qui conditionnent l’accès à la culture, ceci en visant à l’élargissement des publics, à leur diversification, ainsi qu’à leur fidélisation. Toutefois, une tension entre les deux logiques de démocratisation de la culture et de démocratie culturelle verra le jour : la première sera centrée sur l’accompagnement des pratiques de diffusion ; la deuxième se construira à partir des réflexions et expériences vécues dans le mouvement de Mai 68 et inspirée par la démocratie culturelle.
  6. L’empilement des missions. Au cours des années septante, l’on assiste à un processus d’empilement des objectifs de politique culturelle. L’action culturelle de démocratisation aura permis de poursuivre et de déployer l’entreprise de décentralisation culturelle, tout en annexant à cette entreprise d’autres objectifs, plus en phase avec la philosophie participative de Mai 68. A voir si la notion de « développement culturel » en France n’a pas été un moyen d’effectuer une sorte de jonction entre les deux logiques d’action culturelle que sont la démocratie et la démocratisation culturelles. La démocratisation de la culture serait ainsi intégrée dans un projet politique beaucoup plus large, celui de transformer la société par la culture. Une conséquence est que l’objet de la démocratisation s’étend à une plus grande variété de pratiques et de cultures, ce qui implique une certaine remise en question des critères d’excellence et des catégories traditionnelles qui fondaient auparavant la démocratisation de la culture. En Belgique, il y a également fusion progressive des deux dynamiques, quoique la démocratie culturelle reste le paradigme dominant.
  7. Les désillusions des années 1980. La « faillite » du projet révolutionnaire de Mai 68, la « récupération des avant-gardes » par le marché de l’art et la marchandisation galopante des secteurs culturels, le désengagement des créateurs par rapport à leur responsabilité civique, etc. tout cela favorise un désenchantement sur les pouvoirs de l’art, fragilisant ainsi la rhétorique de la démocratisation de la culture. La démocratie culturelle deviendra elle-même problématique en raison de la « contradiction structurelle entre ambitions politiques et moyens budgétaires », de la montée en puissance du secteur culturel marchand et des industries culturelles, ainsi que d’autres facteurs.
  8. Le repli vers une politique de diffusion. Si le discours sur la démocratisation de la culture s’est tari durant cette période, selon Jean Caune3 et Olivier Donnat5, une politique de diffusion empreinte d’un certain souci des publics a globalement été menée. Cette politique se fonde sur de nouveaux postulats esthétiques. Elle repose sur une vision englobante de la création artistique envisagée comme rupture et subversion de l’ordre établi, ainsi que sur une mythologie des politiques culturelles, mettant en scène une sublimation de la création artistique pour sortir de la crise. En outre, de nouveaux domaines sont alors soutenus et des formes culturelles, autrefois dénigrées, sont légitimées. De même la politique de diffusion est alors orientée vers une ouverture aux domaines de l’économie et de la technologie, ainsi qu’en faveur des industries culturelles. Enfin, plus qu’auparavant, la politique de diffusion a été pensée par rapport à des publics ciblés (jeunes, handicapé·es, minorités ethniques, etc.), par souci d’équité et dans le but d’élargir les auditoires.
  9. L’essoufflement et la question de la légitimité. Ces vingt dernières années sont décrites comme traversées par l’essoufflement des projets de démocratisation de la culture et de démocratie culturelle. Ainsi, on se contenterait très largement de poursuivre les entreprises initiées dans les années 1960-1970, sans oser affronter les doutes qui, depuis les années 1980, assaillent ces modèles. Les dispositifs d’évaluation des politiques de démocratisation de la culture renforcent aussi l’essoufflement…
  10. Les nouvelles formes de démocratisation et de démocratie culturelle. Selon Olivier Donnat5, il y a une « réponse pédagogique » à l’échec de la démocratisation de la culture, qui se traduit dans l’institution de services pédagogiques, dans les musées notamment, et participe de cette idée de « convertir » des publics moins portés à la culture mais également dans des mécanismes structurels visant à opérer des ponts entre culture et école. Il y a également une diversification des modes d’accès à l’art et à la culture, avec un timide déplacement de la rhétorique de la démocratisation en ce sens.

Pour aborder ce développement sous un autre angle, nous renvoyons, à nouveau frais, à l’intervention donnée par cette dernière dans le cadre du séminaire interdisciplinaire « Droit de participer à la vie culturelle et politiques culturelles » organisé par Culture & Démocratie à PointCulture Bruxelles en décembre 2013.

Des résonances sectorielles autour de la DÉMOCRATIE culturelle

Nous étendons le développement au secteur de l’Éducation permanente(EP) qui pratique la démocratie culturelle et la démocratisation de la culture, en résonance avec celui des centres culturels notamment et d’autres secteurs socio-culturels. Reprenons des références pour voir comment se concrétisent les notions dans le secteur de l’EP et leurs résonances avec les développements ci-dessus.

Décret Éducation Permanente du 17 juillet 2003, révisé le 14 novembre 2018.Ce texte présente dès les dispositions générales l’ambition que « les démarches des associations visées par le décret s’inscrivent dans une perspective d’égalité et de progrès social, en vue de construire une société plus juste, plus démocratique et plus solidaire qui favorise la rencontre entre les cultures par le développement d’une citoyenneté active et critique et de la démocratie culturelle. » Et pour ce faire, les démarches d’éducation permanente sont concernées par « l’analyse critique de la société, la stimulation d’initiatives démocratiques et collectives, le développement de la citoyenneté active et l’exercice des droits civils et politiques, sociaux, économiques et culturels, environnementaux dans une perspective d’émancipation individuelle et collective des publics en privilégiant la participation active des publics visés et l’expression culturelle. »

Marcel Hicter. Il est une des références en matières de démocratie culturelle en Belgique – et, au départ de la Belgique, dans les enceintes des institutions internationales (Conseil de l’Europe, Unesco), ce que mentionne Céline Romainville dans son article repris ci-dessus. Il définit la démocratie culturelle comme affirmant “la pratique responsable à la fois des individus et des groupes dans la cohérence de la société globale par la solidarité des individus et des groupes”. La démocratie culturelle “repose sur le principe que l’individu, dans l’action solidaire, doit pouvoir développer en toute liberté l’ensemble de ses potentialités ; elle affirme, pour tous les hommes, des droits égaux et tend à créer pour chacun les conditions matérielles et spirituelles de l’exercice de ses droits ; elle vise à réaliser l’équilibre entre l’épanouissement individuel dans la liberté et la conscience active de la liaison de l’individu à sa communauté et à l’humanité toute entière”. Dans cette conception, “la culture est action permanente de l’homme pour améliorer sa nature et son milieu et mise en commun des résultats de cette action”. Pour Marcel Hicter, la démocratie culturelle doit garantir “aux individus et aux groupes, les moyens concrets de vivre selon leurs convictions” pour “enrichir la vie”.

L’Association Marcel Hicter, fondation pour la démocratie culturelle poursuit ce travail de promotion et de recherche autour de la démocratie culturelle.

Pour aller plus loin…

Un cycle de conférences données par Luc Carton, membre du comité de pilotage de la Plateforme et ancien co-président de Culture & Démocratie, il est figure incontournable de l’Éducation permanente en Belgique et au-delà. Réalisées par La Ligue de l’Enseignement et de l’éducation permanente, les conférences sont découpées en cinq chapitres expliquant comment l’éducation permanente constitue une démarche fondatrice de la démocratie culturelle. Ces vidéos sont disponibles sur la page YouTube du l’association.

Un article de Luc Carton sur le blog reprend l’actualité de la démocratie culturelle, à l’aune de l’éducation populaire et des des droits culturels.

Un article de Culture & Démocratie reprenant un échange avec Christine Mahy, secrétaire générale et politique du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté. L’entretien est l’occasion de revenir sur le parcours de Christine Mahy, entre travail social, action culturelle et éducation permanente, et surtout toujours animé par une démarche visant à la démocratie culturelle.


Références bibliographiques

1. Hugues Dumont, “La genèse des principes directeurs du droit public belge de la culture entre 1830 et 1940”, in “L’argent des arts. La politique artistique des pouvoirs publics en Belgique de 1830 à 1940”, Ginette Kurgan-Van Hentenryk, Valérie Montens (dir.), Bruxelles (Belgique), Éditions de l’Université de Bruxelles, 2001, p. 25.

2. Jean-Claude Wallach, “La culture pour qui ? Essai sur les limites de la démocratisation culturelle”, Paris (France), éditions de l’attribut, 2006, p. 38.

3. Jean Caune, “La démocratisation culturelle, une médiation à bout de souffle”, Grenoble (France), Presses universitaires, collection “Arts et culture”, 2006, p. 103.

4. Jean-Louis Genard, “Les politiques culturelles de la Communauté française de Belgique : Fondement, enjeux et défis”, in “Tendances et défis des politiques culturelles.” Claudine Audet et Diane Saint-Pierre (dir.), Québec (Canada), Presses de l’Université de Laval, 2010, pp186-187.

5. Olivier Donnat, “La démocratisation à l’heure des bilans : le cas de la France”, in “Démocratisation de la culture ou démocratie culturelle ? Deux logiques d’action publique”, Guy Bellavance (dir.), Québec (Canada), Presses de l’Université de Laval, 2000.

Référentiels

À la suite de l’article sur le Neuf essentiels – Pour comprendre les « droits culturels » et le droit de participer à la vie culturelle, nous ouvrons un chantier qui reprend les différents référentiels des droits culturels, les présente sommairement et les met en dialogue en vue de faire culture commune autour de ces notions.

Référentiels – Démocratie culturelle et démocratisation de la culture

Nous poursuivons notre chantier sur différents référentiels des droits culturels en vue de les présenter sommairement et les mettre en dialogue pour faire culture commune autour des droits culturels. Troisième référentiel : les notions de démocratie culturelle et de démocratisation de la culture.

Les droits culturels dans le cadre des arts de la scène: une question de liberté artistique?

Nous reprenons un article qu’Isabelle Meurens, directrice de l’asbl Contredanse, a rédigé pour le numéro 86 du journal Nouvelles de danse. Ce texte a été rédigé à l’aide notamment d’un entretien mené avec Thibault Galland, chargé de recherche et d’animation pour la Plateforme d’observation des droits culturels. Il est disponible via ce lien sur le site du journal de l’asbl.

Cet article prolonge le chantier autour des référentiels (Référentiels – Le droit à la culture, Céline Romainville et Référentiels – Les droits culturels, le Groupe de Fribourg avec Patrice Meyer-Bisch) dans la mesure où il aborde les référentiels évoqués et d’autres dans le contexte de l’actualisation du décret arts de la scène de la Fédération Wallonie-Bruxelles cet été 2022 avec des références explicites à ces référentiels des droits culturels. Cette actualisation s’inscrit dans l’horizon du rapport Un futur pour la culture de 2020 nommant les droits culturels comme boussole pour les politiques culturelles à venir.

Plus largement, à la suite du texte, nous mettons celui-ci en rapport avec l’article sur les libertés artistiques rédigé par Farida Shaheed, ancienne Rapporteuse spéciale aux droits culturels au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits humains (HCDH). Ceci, pour stimuler le questionnement et le débat autour d’une approche de droits culturels à la liberté d’expression artistique, et échanger ensemble face aux défis à relever !

FRANÇOISE SCHEIN CONCORDE 1989-1991 Œuvre immersive en 44000 carreaux de grès, sérigraphie du texte de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. 1000m2 Commande de la RATP, France pour la station de métro Concorde à Paris.

Les droits culturels en textes et en contextes – Isabelle Meurens

Aucune œuvre d’art, comme aucune forme, n’est en elle-même universelle, pour autant la danse touche à ce que nous partageons tous, un corps. Situés et universels, les droits humains le sont également.

Une brève histoire des droits humains

La Déclaration universelle des droits de l’homme, de 1948, s’inscrit dans une histoire au long cours. S’il y a déjà des prémices de droits individuels et inaliénables dans des déclarations anciennes, comme en Perse en 500 av. J.-C., lorsque Cyrus le Grand, après avoir libéré les esclaves de Babylone, proclame la liberté de chacun de choisir sa religion, c’est surtout dans l’histoire moderne que se construisent les droits humains. La « Petition of Right » du parlement anglais de 1628, qui fixe les libertés imprescriptibles des sujets devant le roi ; les 10 premiers amendements de la Déclaration d’indépendance des États-Unis de 1776, et, bien évidemment, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a inspiré des textes similaires dans de nombreux pays d’Europe et d’Amérique latine tout au long du XIX e siècle. Voilà pour la brève ligne du temps de ce qu’on appelle la première génération des droits humains. Droits civils et politiques, libertés fondamentales, droits naturels, droits-libertés : derrière ces dénominations, que recouvrent-ils ? Il s’agit de droits inaliénables et universels – partagés par tous –, qui garantissent les libertés individuelles au-delà des droits en vigueur dans un État donné à un moment donné. Ces droits consacrent, d’une part, les droits de l’individu face à l’État (respect de la vie privée, de la vie familiale, de la propriété…) et, d’autre part, la participation de l’individu à la vie collective (droit de vote, libertés d’opinion, de culte…).

La Seconde Guerre mondiale va marquer un tournant dans l’histoire des droits humains, le génocide apportant la preuve de leur difficile mise en œuvre. En préambule de la déclaration adoptée par les Nations unies, en décembre 1948, cette phrase : « la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité ». Comme l’explique Laurence Burgorgue-Larsen, professeure de droit à la Sorbonne et spécialiste de la justiciabilité des droits humains : « de là est née l’idée que les États doivent mettre en œuvre les conditions de possibilités des droits civils et politiques » et que « les libertés individuelles ne sont garanties que par des moyens économiques et sociaux ». Par ailleurs, à l’issue de la guerre, la culture apparaît tout autant comme un levier d’émancipation que comme un instrument de propagande ; un ensemble de codes et de représentations au sein de communautés diverses aussi bien que l’instrument d’une revendication identitaire potentiellement mortifère. C’est dans ce contexte que naissent les premiers textes faisant explicitement référence aux droits culturels, précisément dans l’article 27 de la Déclaration des droits humains de 1948.

Si la première génération des droits humains limite les actions des États pour garantir les libertés des citoyens, la seconde impose à l’État la mise en œuvre de politiques socio-économiques en vue de rendre ces droits humains effectifs. C’est pourquoi on distingue au sein des droits humains les droits-libertés des droits-créances. Ces derniers confèrent à l’individu le droit d’exiger certaines prestations de la part de la société ou de l’État : par exemple, le droit au travail, le droit à l’instruction, le droit à l’assistance, le droit de participer à la vie culturelle…

Les droits culturels à travers les textes déclaratifs et législatifs

Si la première occurrence du terme « droits culturels » se trouve à l’article 22 de la Déclaration de 1948 – « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays. » –, c’est l’article 27 qui en donne le cadre : « 1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. 2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. »
Le « compte tenu des ressources » ainsi que la tension perceptible entre les points 1 et 2 de l’article 27 – la circulation des savoirs et des œuvres, d’une part, et la protection des intérêts des auteurs, d’autre part – laissent entrevoir le difficile passage du déclaratif à la mise en œuvre juridique. Et c’est ainsi qu’aucune référence aux droits culturels n’est faite dans la Convention européenne des droits de l’homme (Rome, 1950), manquant ainsi l’occasion d’œuvrer à leur effectivité en les intégrant au champ d’application de la Cour européenne des droits de l’homme.

Il faudra attendre 1966, à l’ONU, pour que s’inscrive la première référence aux droits culturels dans un texte juridiquement contraignant, précisément dans l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels : le droit de participer à la vie culturelle, le droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications, le droit de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique et la liberté scientifique et culturelle.

Difficile de parler des grands textes ou déclarations internationales sans évoquer la Déclaration de Fribourg (2007), fruit d’un travail de 20 ans d’universitaires mené par Patrice Meyer-Bisch, docteur en philosophie politique. Cette déclaration rassemble et explicite les droits culturels qui sont déjà reconnus, mais de façon dispersée, dans de nombreux textes internationaux et donne une préséance à des concepts anthropologiques comme ceux « d’identité culturelle » et de « communauté culturelle ». Ce texte n’a pas en lui-même de portée juridique mais a influencé le cadre des politiques culturelles en Fédération Wallonie-Bruxelles.

En Belgique, c’est en 1993 que les droits culturels entrent dans la Constitution, à l’article 23 : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. (…) Ces droits comprennent notamment : (…) 5° le droit à l’épanouissement culturel et social ». En Belgique, état fédéral, rappelons-le, ce sont avant tout les communautés qui mènent les politiques culturelles et en donnent le cadre légistique à travers différents décrets. En Fédération Wallonie-Bruxelles, outre le secteur de l’éducation permanente, l’effectivité des droits culturels incombe au premier chef aux Centres culturels. Impossible ici d’aborder tous les textes mais notons que le décret dit « des arts de la scène », comme le décret « gouvernance », repose sur des droits culturels concrets : la liberté de création pour le premier, la participation aux politiques culturelles pour le second. À d’autres niveaux de pouvoir, le Plan culturel pour Bruxelles fait de la mise en œuvre des droits culturels une priorité absolue. L’essor récent des droits culturels dans les textes de lois ne va pas nécessairement de pair avec une compréhension de ceux-ci en dehors des cercles académiques et politiques, la confusion sur certains termes ne facilitant pas leur appréhension.

La culture à l’œuvre

Le premier enjeu de clarification va se porter sur le terme même de culture, qui revêt de multiples sens. Si depuis les premières déclarations des droits humains il a signifié notre arrachement à la nature et à l’environnement, ce qui nous a permis de bâtir des civilisations, on comprend assez vite que cet « arrachement à la nature » est indissociable d’une histoire de domination de l’homme occidental sur l’environnement et les autres cultures. La mutation anthropologique profonde qui semble s’opérer depuis quelques années pour sortir de cet écueil de l’humain bâtisseur qui domine son environnement pose de multiples questions. Les droits humains et, en particulier, les droits civiques sont depuis plusieurs décennies un instrument puissant pour sortir de cet écueil. Quant aux droits sociaux, économiques et culturels, leur charge transformatrice est limitée par manque de clarification.

Dans Neuf essentiels pour comprendre les droits culturels, Céline Romainville, professeure de droit constitutionnel et droits humains à l’UCL, classifie les différentes acceptions du mot culture qui ont façonné l’écriture des droits culturels. La culture dans son acception première et générale est ce qui fait notre humanité commune (la Culture vs la Nature) (I). Dans son sens anthropologique (II), la culture se définit comme ce qui fait « l’identité d’un groupe », un ensemble d’attributs qui unit les membres d’un groupe et les distingue d’autres groupes, influence leur vision du monde et structure leur vie individuelle ou collective. Une troisième signification, plus symbolique celle-là, part également d’un contexte socio-historique particulier mais se rapporte à l’ensemble des ressources des savoirs ou des symboles qui construisent nos représentations du monde, de l’éthique, du soi… (III). Et enfin, fait remarquer Céline Romainville, « la culture peut être appréhendée comme le développement des activités créatrices des hommes ». Envisagée dans ce quatrième sens, la culture est à la fois « patrimoine/traditions » et « création/pratiques » (IV).

Selon qu’on se réfère à la culture dans sa dimension anthropologique ou patrimoniale et artistique, la portée des droits culturels sera toute différente. Lors de la Conférence mondiale sur les politiques culturelles qui a eu lieu à Mexico en 1982, l’UNESCO propose la définition de la culture suivante : « l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ».

Si cette définition de l’UNESCO qui se rapproche de la définition anthropologique semble séduisante par son caractère englobant et inclusif, elle présente un défaut majeur puisqu’elle elle minimise inévitablement la dimension artistique de la culture. Ce faisant, elle réduit potentiellement le périmètre des droits culturels autant que leurs capacités à intégrer des textes de lois contraignants.
Les droits culturels, concrètement

Le principe général est le droit de participer à la vie culturelle, mais comment se traduit-il en droits concrets ? Céline Romainville relève six droits concrets induits par le droit de participer à la vie culturelle :

1. la liberté artistique ou le droit de créer et de diffuser sans entrave ses créations ;

2. le droit au maintien, au développement et à la promotion des cultures et des patrimoines ;

3. le droit d’accéder à la culture : recevoir les moyens de dépasser les obstacles (physiques, financiers, géographiques) à un tel accès mais aussi d’accéder aux clés et références culturelles permettant de renverser les obstacles symboliques, éducatifs, linguistiques… ;

4. le droit de prendre part activement à la diversité des vies culturelles, de recevoir les moyens concrets de s’exprimer sous une forme artistique et créative, et d’accéder aux clés et références culturelles permettant de s’exprimer de manière critique et créative, de développer son potentiel, son imaginaire ;

5. le droit au libre choix dans la participation à la vie culturelle ;

6. le droit de participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques culturelles.
Le fil rouge qui se dessine à travers ces six attributs dévoile la sédimentation dans l’histoire des droits culturels. Si la liberté d’expression (1) est aux fondements des droits humains dès 1776, les prérogatives (2) et (3) sont indissociables du mouvement de démocratisation culturelle de la seconde moitié du XX e siècle dans le sillage de la Déclaration de 1948 ; quant aux droits (4), (5) et (6), s’ils n’abrogent en aucun cas ceux qui précèdent, ils se pensent dans un mouvement ascendant, épine dorsale de la démocratie culturelle au XXI e siècle.

Rendre effectifs les droits culturels : démocratisation et démocratie culturelle

Démocratisation culturelle et démocratie culturelle renvoient à des valeurs qui sont souvent mises en opposition. La démocratisation part d’un postulat descendant, « rendre accessible au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité », disait André Malraux, ministre chargé des Affaires culturelles. C’est à cette époque qu’en 1966, Pierre Bourdieu et Alain Darbel publient L’Amour de l’art, une étude sur les musées et leurs publics. Musées qui, selon Bourdieu « trahissent, dans les moindres détails de leur morphologie et de leur organisation, leur fonction véritable, qui est de renforcer chez les uns le sentiment d’appartenance et chez les autres le sentiment de l’exclusion ». Politique tarifaire, décentralisation, sensibilisation sont quelques-uns des moyens mis en œuvre pour démocratiser la culture et la rendre accessible. Le mouvement de ce qu’on appelait alors la sensibilisation à l’art ne trouve grâce aux yeux de Bourdieu. « Un enseignement artistique peut avoir deux fonctions, il peut donner le minimum de connaissance de l’art qu’il faut avoir pour respecter l’art sans avoir les moyens de le connaître ou bien il peut donner le minimum de connaissance qu’il faut avoir pour ne pas se laisser dominer par l’idée de l’art noble. Or, si vous donnez un minimum d’information sur l’art, il y a toutes les chances que vous donniez le respect de l’art et non les moyens de le maîtriser. »
Le concept de démocratie culturelle n’ignore pas les enjeux d’accessibilité, de sauvegarde du patrimoine ou de liberté de création, mais, en réinterrogeant le sens du mot « participation », il le renverse. Ainsi la logique descendante qui prévalait laisse place à une logique ascendante. Un mouvement « bottom-up » qui doit être mobilisé à tous les niveaux. À première vue, la réponse attendue à cette problématique est celle des projets dits « participatifs ». Lorsque Stravinsky parcourt la Russie pour écouter et répertorier les chants de mariages et, de cette diversité, composer ses Noces, il mène un projet participatif avant l’heure, mais est-il dans une démarche ascendante ? Pas nécessairement. Pas davantage qu’un artiste et un directeur d’institution qui ensemble conçoivent un projet inclusif. Pourquoi ? En raison d’un paradoxe inévitable : les politiques culturelles, comme les projets de médiation, sont menées par ceux qui participent déjà à la vie culturelle.

Pour autant, « on est dans une social-démocratie, une grande part du pouvoir politique est liée à la société civile, chaque échelon a plus ou moins une responsabilité culturelle », nous dit Thibault Galland. « En Fédération Wallonie-Bruxelles, le système s’est construit en  » bottom-up « , beaucoup de Centres culturels par exemple sont nés d’initiatives citoyennes, parfois soutenues par les communes et les provinces. C’est dans les années 60-70 qu’une aide financière va leur être accordée, ce qui va donc amener à la mise en place d’un cadre légal. »

Le rôle des centres culturels

En Fédération Wallonie-Bruxelles, l’effectivité des droits culturels incombe au premier chef aux Centres culturels depuis la révision du décret de 2013, qui lors de sa promulgation a été « vécu comme un choc par les Centres culturels », nous dit Thibault Galland, mais rapidement comme « une révolution », confirme Sandrine Mathevon, directrice du Centre culturel Jacques Franck, tant le changement de paradigme est profond.La révolution, c’est d’avoir abandonné la logique de résultat pour une logique de processus. Pour Thibault Galland, qui mène un projet de recherche et d’accompagnement pour mesurer l’effectivité des droits culturels dans les Centres culturels, « la vision à long terme est une condition d’observation de l’effectivité des droits culturels. Il s’agit de constater une progression dans l’exercice des droits, c’est-à-dire un processus en cours et non un résultat final. »
Par conséquent, les centres culturels doivent, en collaboration avec les habitants, faire une analyse partagée du territoire, observer leurs actions et restituer leurs analyses auprès des usagers. Cela demande du temps d’observation et d’analyse, mais c’est « déculpabilisant pour les équipes », qui peuvent se poser sur un long terme. Les droits culturels qui se traduisent sur le terrain en fonctions culturelles sont alors une boussole en termes de choix de projets.

Rendre la justice

Qui dit droit, dit justice et système judiciaire. Mais en matière de droits culturels, qui est compétent ? Que peuvent les usagers ? Qui en est redevable ? Comment la justice est-elle rendue ? Derrière ces questions, un mot : la justiciabilité. Alors qu’il y a une réelle montée en puissance des droits humains dans les cours de justice, les droits économiques et sociaux peinent à trouver leur place dans les tribunaux locaux et internationaux. Que dire alors des droits culturels ?

La première raison invoquée par les États pour ne pas accroître la justiciabilité des droits humains de deuxième génération est « d’ordre démocratique », explique Laurence Burgorgue-Larsen, et vise à « éviter que le pouvoir judiciaire s’empare des questions de justice sociale, pour laisser le parlement déterminer les politiques publiques et les choix budgétaires et pas les juges ».

Difficile donc, on l’aura compris, pour un justiciable de saisir un juge au nom du droit à participer à la vie culturelle. Pourtant, les pouvoirs publics, premiers débiteurs des droits culturels, ont l’obligation de les respecter. Ils ne peuvent entraver leur réalisation ; ils doivent protéger les individus qui seraient empêchés de participer à la vie culturelle, et, enfin, ils doivent mettre en place un cadre institutionnel adéquat à la réalisation desdits droits mais conditionné aux moyens disponibles. « Compte tenu des ressources de chaque pays », stipulait l’article 22 de la Déclaration de 1948.

Nous le disions en début d’article, cette condition a de quoi compromettre la responsabilité des pouvoirs publics. Néanmoins, affirme Céline Romainville, en se basant sur les travaux d’Isabelle Hachez, professeure de droit à l’Université Saint-Louis à Bruxelles, « le droit culturel peut éventuellement être protégé par le recours à l’obligation de “standstill” qui sanctionne tout recul sensible et non motivé dans la réalisation du droit à l’épanouissement culturel ». L’obligation de « standstill » (littéralement « rester tranquille ») interdit aux pouvoirs publics de légiférer à rebours des droits garantis et de diminuer les niveaux de protection acquis sans que cela ne se justifie par des motifs d’intérêt général.

Rendons cela concret par quelques exemples fictifs de ce qui pourrait être considéré comme des reculs en matière de droits culturels – toute ressemblance avec des faits réels serait purement fortuite – : un habitant d’une zone rurale dont la commune choisirait de fermer un Centre culturel, unique lieu culturel accessible pour ses habitants ; des enfreintes à la concertation lors du vote d’un décret de politique culturelle ; une crise économique qui pousserait une ministre de la Culture à réduire de moitié l’enveloppe dévolue à la création artistique ; une ville qui pratiquerait l’expulsion ou l’expropriation d’un lieu culturel sans garantir la sauvegarde du patrimoine ; un musée au toit percé – ou son pouvoir de tutelle – qui ne garantirait plus la protection des œuvres, ou encore un conseil des ministres qui déciderait, en dépit des avis des experts sanitaires, de fermer tous les théâtres et les cinémas à la veille du plus grand festival jeune public d’une région. Encore faut-il que le juge conclue au caractère significatif du recul et à l’absence de justification raisonnable dans le chef des pouvoirs publics… Autant d’obstacles sur la voie d’une pleine effectivité des droits culturels.

Les droits culturels ont aujourd’hui acquis une notoriété à tous les niveaux, de la ministre de la Culture à l’artiste qui propose des actions de médiation, en passant par le responsable des publics d’un théâtre. Cela se traduit dans des décrets et sur le terrain grâce à l’action des centres culturels notamment. Mais la justiciabilité des droits culturels reste un enjeu majeur dans l’effectivité des droits culturels, parce que les droits culturels sont l’un des pivots de la justice sociale en matière de diversité, d’accessibilité et de participation.


la question de la liberté artistique par le prisme des droits culturels

Farida Shaheed, l’ancienne Rapporteuse spéciale aux droits culturels au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits humains (HCDH), a consacré un de ses rapports à la liberté artistique de création. Le rapport est largement repris dans un article « Les droits culturels et les les libertés artistiques ne sont pas antinomiques » est disponible dans le premier numéro de la Revue Nectart. Il est consultable et téléchargeable depuis le site Cairn.

Voici des points importants présentés dans cet article:

  • Les libertés d’expression artistique font partie des droits culturels, de même que la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs, tout comme les droits d’accéder pour chaque individu d’accéder à l’espace public et de participer à la vie culturelle
  • Depuis sa création en 2009, la procédure spéciale instituée par les Nations unies dans le domaine des droits culturels a contribué à clarifier les enjeux de la diversité culturelle, des patrimoines, des bénéfices des progrès scientifiques et de l’expression artistique sous l’angle de la réalisation des droits humains universellement reconnus à chacun.
  • La réalisation des droits culturels protège l’accès et la participation à la diversité des références, assurant à chacun la possibilité de poursuivre son développement et son processus d’identification ; la liberté d’opinion et d’expression doit permettre le droit fondamental de chacun d’exprimer cette identité constitutive de la diversité culturelle en utilisant tous les moyens et médias nécessaires, incluant les diverses formes artistiques et culturelles.
  • Quelle conception de la liberté d’expression artistique est développée par la perspective des droits humains?
    Le droit culturel à la liberté d’expression artistique est essentiel pour le développement de toute culture vivante, présentant une multiplicité de points de vue qui sont essentiels au bon fonctionnement de sociétés démocratiques. Il constitue aussi un moyen pour renforcer la réalisation d’autres droits humains fondamentaux, témoignant de l’indivisibilité des droits humains universels.
  • Quel est le rôle des artistes dans la société?
    Toute société saine a besoin d’une vie culturelle riche qui permet la contestation et la réinterprétation des significations à donner aux idées et concepts culturellement hérités du passé et à ceux d’aujourd’hui, aux nouveaux développements. Le droit aux libertés indispensables à l’expression artistique et à la créativité est freiné de multiples façons et, mondialement, il y a raison de se préoccuper du fait que les artistes sont réduits au silence par diverses stratégies. Une œuvre d’art est différente d’un énoncé de faits, permettant une diversité d’interprétations et de significations beaucoup plus large. Les artistes ouvrent des espaces de réflexion sur l’humanité, qui aident à se questionner de manière permanente sur la définition de ses contours et les dynamiques de la société

Quelques défis soulevés par une approche de droits culturels à la liberté d’expression artistique:

  • Les libertés d’expression artistique ne peuvent pas être dissociées des droits de chacun de jouir des arts, et trouver l’équilibre entre la réalisation de ces deux droits – la liberté artistique et la protection des intérêts des artistes et le droit de chacun de jouir des arts – nécessite d’étudier de manière plus complète l’impact des monopoles ou quasi-monopoles dans les domaines des médias et des distributeurs de produits culturels (industries culturelles).
  • Pour toute personne exerçant sa liberté d’expression artistique afin d’exposer des points de vue considérés comme controversés, les droits culturels rappellent avec vigueur que dans toute société il y aura toujours des discussions et des débats sur le sens, les définitions et les concepts. La question est alors de savoir qui parle, au nom de quelle communauté, de quelle culture, de quel point de vue, et il convient d’assurer la nécessité que le discours dominant ne soit pas le seul à être entendu.
  • Les libertés d’expression artistique soulèvent ainsi des questionnements sur l’utilisation de l’espace public dans toute société : Qu’est-ce que l’espace public et à qui appartient-il ? Qui peut décider de ce qui y est permis ou non, quand et pour combien de temps ? À quel point le public a-t-il réellement son mot à dire sur les images et les sons qui sont omniprésents dans son environnement quotidien ? Pourquoi accorder plus de considération à la sensibilité de certaines communautés lorsqu’il s’agit d’œuvres d’art, mais pas par exemple lorsqu’il est question de publicité ? Pourquoi dédie-t-on souvent plus de ressources et de temps au contrôle des œuvres et manifestations artistiques et culturelles qui doivent être présentées dans l’espace public qu’au contrôle des activités commerciales ?
  • Il semble qu’il soit encore assez fréquent de penser que la créativité et l’expression artistiques sont un luxe : rien ne pourrait être plus faux ! La créativité et l’expression artistiques sont des composantes essentielles de la dignité humaine, inhérentes à la manière que nous avons d’exprimer notre humanité. Limiter ou tenter de contrôler, restreindre ou éliminer les expressions artistiques de l’espace public sont autant de manières d’appauvrir notre humanité.

Référentiels – Les droits culturels, le Groupe de Fribourg avec Patrice Meyer-Bisch

A la suite des articles Neuf essentiels – Pour comprendre les « droits culturels » et le droit de participer à la vie culturelle et Référentiels – Le droit à la culture, Céline Romainville, nous poursuivons notre chantier qui reprend les différents référentiels des droits culturels, les présente sommairement et les met en dialogue en vue de faire culture commune autour de ces notions. Second référentiels: les droits culturels tels que présentés dans la Déclaration de Fribourg de 2007 ainsi que défendu par l’Observatoire de la diversité et des droits culturels et son président Patrice Meyer-Bisch, coordonnateur de l’Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de l’homme (IIEDH) et de la chaire UNESCO pour les droits de l’homme et la démocratie de l’université de Fribourg (Suisse).

En Fédération Wallonie-Bruxelles, les droits culturels sont également cités dans le décret des Centres culturels du 21 novembre 2013 et par divers acteur·ices du secteur et au-delà. Outre les élargissements qu’appelle le décret entre droit à la culture et droits culturels, la mention de « droits culturels » la plus importante du décret est celle qui fait référence à l’article 1, 5° à la définition élargie de la culture qui est tirée de la Déclaration de Fribourg. La voici extensivement : « Culture : les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité ainsi que les significations qu’il donne à son existence et à son développement ». Une définition qui ouvre la notion au-delà des champs socio-culturels à des perspectives anthropologiques et philosophiques plus larges.

Genèse et objectifs de la Déclaration

Cette Déclaration est le fruit d’un travail de longue haleine de discussion et de rédaction sur plusieurs décennies : des premières échanges et colloques à la fin des années 1980 jusqu’à l’adoption du texte le 7 mai 2007 par une assemblée issue de la société civile, composée d’universitaires de diverses discipline, de membres d’ONG et de professionnels travaillant dans le domaine des droits culturels, avec le parrainage d’une soixantaine de personnalités.

De façon analogue au droit à la culture de Céline Romainville, la Déclaration de Fribourg vise à rassembler et expliciter des droits qui sont déjà reconnus, mais de façon dispersée, dans de nombreux instruments. Dans un contexte international plus large, le texte se pose face à la permanence des violations et de guerre trouvant en grande partie leurs germes dans la violation des droits culturels, aux stratégies de développement inadéquates par l’ignorance de ces mêmes droits, marginalisés malgré l’universalité et l’indivisibilité des droits humains. De plus, le récent développement de la protection de la diversité culturelle nécessite un ancrage dans l’ensemble indivisible et interdépendant des droits humains, sous peine de relativisme.

En bref, la Déclaration vise à clarifier et ce faisant, à démontrer l’importance cruciale des droits culturels ainsi que des dimensions culturelles des autres droits humains.

Structure de la Déclaration

La Déclaration est structurée en plusieurs parties :

  • Dans les deux premiers articles (1-2) sont données les définitions telles que celle élargie de la culture notamment, ainsi que des principes fondamentaux
  • Dans les articles 3 à 8 sont listés et explicités les droits culturels faisant référence à des notions d’identité, diversité, de communautés et de patrimoines culturels, d’accès et de participation à la vie culturelle, d’éducation et de formation, de communication et d’information, de coopération culturelle.
  • Enfin, dans les articles 9 à 12 sont énoncées les obligations impliquées pour toute personne et collectivité afin de garantir une gouvernance démocratique et la compatibilité culturelle des biens et service. Cela exige des prises de responsabilité de la part des acteur·ices culturel·les des secteur public, privé ou civil, ainsi qu’au niveau des Organisations internationales.

Pour plus d’information, nous invitons à consulter l’ouvrage complémentaire de la Déclaration : Déclarer les droits culturels : commentaire de la Déclaration de Fribourg, coordonné par Patrice Meyer-Bisch et Mylène Bidault aux éditions Bruylant et Schulthess. Cet ouvrage décompose et analyse les différents articles de la Déclaration, leurs tenants et aboutissants eu égard à différents textes et sources de droit international.

Retour sur des controverses entre droits culturels et droit à la culture

En Fédération Wallonie-Bruxelles, il y a deux référentiels majeurs en termes de droits culturels – droit à la culture et droits culturels – qui coexistent en particulier au sein du décret des centres culturels du 21 novembre 2013. Cette coexistence a fait l’objet d’échanges dans les journaux de Culture & Démocratie. Reprenons ce débat, non pas tant pour polariser, que pour alimenter le mouvement d’interprétation et de compréhension, la dialectique de ce que sont et peuvent être les droits culturels. Ciblons ici quelques controverses pointées notamment par Patrice Meyer-Bisch dans l’article « De la nature politique et juridique des droits de l’homme et en particulier des droits culturels » dans le journal 36 suite aux Neuf Essentiels, par Jean-Michel Lucas dans l’article « Les droits culturels et leurs perspectives françaises : rire ou pleurer ? » dans le Journal 38, par Céline Romainville dans les articles « Des droits culturels au droit de participer à la vie culturelle » et « Quelques éclaircissements sur la notion de droits culturels » respectivement dans les Journaux 36 et 39 de Culture & Démocratie.

  • Autour de la définition de la culture, dans une visée de clarification des droits culturels: avec une vision plus restrictive et juridique du champ de la culture (pour le droit à la culture), ou avec une vision plus élargie, anthropologique et englobante de la culture (pour la Déclaration de Fribourg)
  • Autour de l’extension de l’identité culturelle à ce type de droits: que le respect de l’identité culturelle soit assuré par le principe de non-discrimination, que la notion floue d’identité ne doit pas être étendue à ce type de droit ; ou du caractère concret de la notion d’identité, qu’il faille préciser celle-ci en un droit à des ressources culturelles nécessaires pour vivre son processus identitaire, à la fois seul et en commun ; ou bien encore que le travail de sens soit mené par la personne ou par des spécialistes…
  • Autour de l’effectivité de ces droits : à partir d’une lecture juridique, l’enjeu de justiciabilité et le principe de standstill ; des mesures politiques cohérentes et contraignantes avec par exemple, la référence à ces sources dans des textes contraignants tels que le décret des Centres culturels et à présent dans autres décrets de la Fédération Wallonie-Bruxelles ; avec la prise de responsabilité de l’ensemble des acteur·ices ; au besoin d’évaluation systématique des politiques culturelles ; à la conflictualité entre politiques culturelles et libéralisation économique de la culture…

Sur le terrain, on observe dans le cadre de la recherche participative et dans les pratiques des travailleur·ses notamment en centres culturels, la coexistence des référentiels du droit à la culture et des droits culturels de Fribourg. Cela aboutit à une diversité d’appropriations des référentiels, à de multiples manières de les mettre en dialogue.

Nous vous laissons libre de nourrir votre propre interprétation et d’en discuter ensemble. Au passage, nous rappelons la mission d’observation de la Plateforme à partir des appropriations des référentiels et celle de faire culture commune à partir de l’un et l’autre référentiels.

Des Sources pour prolonger la réflexion

Pour aborder les développements autour des droits culturels de la Déclaration de Fribourg à partir d’autres supports, nous renvoyons à quelques de nombreuses interventions des défenseur·ses de la Déclaration, notamment la vidéo réalisée par l’Astrac et la Plateforme d’observation des droits culturels dans le cadre du cycle de travail « Cultiver les droits culturels. Expérimenter Paideia », avec le soutien de Réseau Culture 21.

Tout récemment, une vidéo réalisée par l’Observatoire des politiques culturelles de Grenoble avec l’anthropologue Johanne Bouchard, spécialiste en droits humains au Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (OHCHR) et membre de l’Observatoire de la diversité et des droits culturels (Fribourg).

De nombreux ouvrages ont été publiés par Patrice Meyer-Bisch et d’autres membres du groupe de Fribourg, nous en listons ici quelques-uns :

  • Patrice Meyer-Bisch (dir.), Les droits culturels, une catégorie sous-développée des droits de l’homme, Suisse, Editions Universitaires Fribourg, 1993, 360p.
  • Marco Borghi & Patrice Meyer-Bisch (éd.), Société civile et indivisibilité des droits de l’homme, Suisse, Editions Universitaires Fribourg, 2000, 438p.
  • Mylène Bidault, La protection internationale des droits culturels, Bruxelles, Editions Bruylant, Collection du Centre des droits de l’homme de l’Université Catholique de Louvain, 2009, 559p.
  • Patrice Meyer-Bisch, « Les droits culturels au principe d’une démocratisation durable », Journal 23 de Culture & Démocratie, consultable via le site de Culture & Démocratie.
  • Patrice Meyer-Bisch, « Les droits culturels dans la grammaire du développement », disponible sur le site de l’Agenda 21 de la culture : https://agenda21culture.net/sites/default/files/files/documents/fr/newa21c_patrice_meyer-bisch_fra.pdf
  • Patrice Meyer-Bisch, Stefania Gandolfi et Greta Balliu (éds.), L’interdépendance des droits de l’homme au principe de toute gouvernance démocratique, Genève, Edition Globethics, 2019, 327p.

Référentiels – Le droit à la culture, Céline Romainville

À la suite de l’article sur le Neuf essentiels – Pour comprendre les « droits culturels » et le droit de participer à la vie culturelle, nous ouvrons un chantier qui reprend les différents référentiels des droits culturels, les présente sommairement et les met en dialogue en vue de faire culture commune autour de ces notions. Premier référentiel : le droit à la culture défendu par la juriste Céline Romainville, professeure en droit constitutionnel à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (UCL).

En Fédération Wallonie-Bruxelles, le droit à la culture est cité dans le décret des centres culturels du 21 novembre 2013 et par divers·es acteur·ices du secteur. En quelques mots, le droit à la culture correspond à une lecture juridique des diverses sources de définition des droits culturels éparpillées dans différents textes internationaux et nationaux, des instruments universels et de grandes institutions telles que l’UNESCO. L’objectif de ce droit est de clarifier la nébuleuse de références afin d’assurer une portée juridique et une opérationnalisation politique des droits culturels.

L’ouvrage Le droit à la culture, une réalité juridique est tiré de la thèse de doctorat soutenue en 2011 à l’Université catholique de Louvain par Céline Romainville, alors chargée de recherches du FNRS et chargée de cours à l’UCL, l’Université Saint-Louis-Bruxelles et l’Université libre de Bruxelles.

L’objectif de l’ouvrage

La thèse vise à définir, en droit des droits fondamentaux et en théorie du droit, le droit de participer à la vie culturelle, les obligations qu’il implique pour l’État et les prérogatives qu’il induit pour ses titulaires.

Voici un extrait de la partie I consacrée au concept de culture et à la légitimité des politiques culturelles:

« Après une étude des différentes acceptations du concept de culture, nous avons montré que la culture se comprend surtout par rapport au travail sur le sens des expériences humaines et sociales qu’elle construit et qu’elle incarne. […] La culture est essentielle pour le développement des capabilités* des individus et pour la construction de leur identité.

La réception juridique du concept de culture n’en reflète que certaines acceptations. En effet, le système juridique et le droit des droits fondamentaux doivent appréhender la culture en fonction de leurs rôles particuliers (respectivement : ordonner le réel et garantir un certain nombre de ressources à tous les individus). Ainsi, le concept de culture privilégié par le droit et les droits fondamentaux a trait à l’ensemble des créations artistiques et des patrimoines culturels, qui incarnent la culture au sens de travail sur le sens des expériences humaines et sociales dans des réalisations concrètes, dans des processus créatifs déterminés, dans des méthodes particulières, dans une posture d’expressivité et d’analyse critique.

La reconnaissance d’un droit à la culture emmène forcément la mise en œuvre de politiques culturelles dont l’objectif est de soutenir la diversité, de favoriser l’accessibilité et la participation à la culture. […] L’exigence de justice en matière culturelle ne concerne pas seulement les actions de l’État visant à soutenir la diversité culturelle. Elle concerne également, et surtout, les politiques visant à assurer une participation de chacun aux structures culturelles qui permettent à l’individu d’advenir à lui-même et de déployer ses possibilités de création. […] L’exigence de justice implique que l’État instaure des espaces de coopération de travail sur les sens, un authentique espace public culturel. » (p. 189-191 de l’ouvrage)

Le cœur de l’ouvrage

La thèse est constituée d’une analyse descriptive, explicative et évaluative de la reconnaissance, de la portée, de l’effectivité et de la légitimité du droit de participer à la vie culturelle. Afin de rendre possible une analyse juridique rigoureuse et précise, l’étude s’est limitée à trois domaines en particulier : la création artistique, le patrimoine et l’Éducation permanente.

Le livre aborde successivement les sources juridiques du droit de participer à la vie culturelle et leur portée, l’objet de ce droit, les prérogatives et les obligations qui en découlent, ses titulaires et ses débiteurs.

Voici un extrait de la partie II consacrée à la reconnaissance du droit à la culture :

« Sur base de la mise en relation de l’ensemble des sources du droit à la culture, l’identification des éléments du régime juridique du droit à la culture a été réalisée […] en droit international et en droit constitutionnel [belge].

L’objet du droit à la culture a été défini comme s’étendant à la diversité des expressions culturelles, c’est-à-dire à l’ensemble des pratiques et des œuvres, des activités socio-culturelles et des éléments du patrimoine qui expriment, par des procédés artistiques, créatifs, critiques et expressifs, une recherche sur le sens des expériences humaines et sociales. Les prérogatives qui s’exercent sur cet objet sont les suivantes : liberté artistique ; droit au maintien, à la conservation et au développement des cultures et des patrimoines ; droit d’accéder à la culture ; droit de participer à la culture ; liberté de choix et droit de participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques culturelles. L’identification des prérogatives allant de pair avec celle de leurs titulaires […], le droit à la culture est un droit individuel à forte dimension collective, c’est pourquoi il s’exerce en grande partie en association et en groupe.

Enfin, les obligations qu’emporte le droit à la culture ont été définies en recoupant les prérogatives dégagées avec la théorie générale des obligations de respecter, protéger et réaliser. Ces obligations reposent sur les épaules d’un ensemble de débiteurs qui constituent les collectivités publiques. Elles sont particulièrement importantes dans le cas des collectivités compétentes en matière culturelle. » (p. 525-526 de l’ouvrage).

La justiciabilité du droit à la culture

Enfin, l’ouvrage se développe autour d’une réflexion sur l’effectivité du droit de participer à la vie culturelle qui mobilise une analyse du droit des politiques culturelles.

Voici un extrait de la partie III consacrée à la justiciabilité du droit à la culture :

« Le principe de standstill est apparu […] particulièrement fécond pour le droit à la culture. Pourtant, ce principe n’a été appliqué qu’à de très rares occasions au droit à la culture, ce qui n’a pas manqué de nous étonner mais qui est sans nul doute explicable par l’imprécision qui caractérisait le droit à la culture. […]

La portée du principe de standstill induit du droit à la culture est identique à celle induite d’autres droits : elle est relative et soumise à l’exigence de recul sensible que l’on n’a pas manqué de contester bien qu’elle fasse désormais l’objet d’une d’un consensus jurisprudentiel certain. Mais les réels obstacles à un déploiement adéquat de l’obligation de standstill induite du droit à la culture résultent de l’absence d’évaluation législative du droit public de la culture et du défaut d’indicateurs relatifs au droit à la culture. […]

Dès lors que les politiques culturelles sont ancrées dans le droit à la culture, nous avons l’intuition que le principe de standstill peut, s’il est accompagné d’un développement du droit procédural des politiques culturelles (évaluation et indicateurs) et d’une précision des autres effets du droit à la culture (intangibilité, noyau dur, dimension objective), devenir un axe de défense et de refondation des politiques culturelles, notamment au plan européen. » (p. 827-828 de l’ouvrage)


Pour compléter cette présentation du droit à la culture :

Pour aborder les développements de Céline Romainville par un autre support, nous renvoyons à l’intervention donnée par cette dernière dans le cadre du séminaire interdisciplinaire « Droit de participer à la vie culturelle et politiques culturelles » organisé par Culture & Démocratie à PointCulture Bruxelles en décembre 2013.

Pour compléter les réflexions

De nos archives, nous ressortons l’article de Céline Romainville, Le droit à l’épanouissement culturel dans la Constitution belge, tiré du journal 19 de décembre 2008. Le journal est accessible à partir de ce lien sur le site de Culture & Démocratie et le fichier numérique de ce journal est téléchargeable ici.

Par ailleurs, nous renvoyons à différentes publications de la revue Repères de l’Observatoire des Politiques Cultures de la Fédération Wallonie-Bruxelles dit OPC, en particulier :

Le numéro 1 consacré au droit à la culture & la législation relative aux centres culturels, coordonné par Céline Romainville en mai 2012.

Les numéros 4-5 consacrés à la démocratie culturelle & démocratisation de la culture, coordonnés par Céline Romainville et postfacés par Roland De Bodt en juin 2014.


*Capabilité: ce terme, qu’on aurait pu traduire par « capa­cité » en français, mérite néanmoins les honneurs d’un néologisme car il contient, à lui seul, l’essentiel de la théorie de la justice sociale développée par l’économiste et philosophe Amartya Sen depuis les années 1980. Son écho auprès des instances internationales et des acteur·ices du développement humain en fait aujourd’hui une des raisons pour lesquelles le développement d’un pays ne se mesure plus seulement à l’aide du PIB par habitant·e. Selon A. Sen, comme pour Martha Nussbaum, la « capabilité » désigne la possibilité pour les individus de faire des choix parmi les biens qu’ils jugent estimables et de les atteindre effectivement. Les « capabilités » sont, pour ces auteur·ices, les enjeux véritables de la justice sociale et du bonheur humain. Elles se distinguent d’autres conceptions plus formelles, comme celles des « biens premiers » du philosophe John Rawls, en faisant le constat que les individus n’ont pas les mêmes besoins pour être en mesure d’accomplir le même acte : un hémiplégique n’a aucune chance de prendre le bus si celui-ci n’est pas équipé spécialement. (Tiré du site Sciences humaines, https://www.scienceshumaines.com/capabilites_fr_29433.html)

9 essentiels – Pour comprendre les « droits culturels » et le droit de participer à la vie culturelle

La collection des «Neuf essentiels» est une initiative éditoriale de l’asbl Culture & Démocratie qui consiste en une compilation, longuement introduite et commentée, de notices bibliographiques concernant des ouvrages incontournables pour qui veut s’informer sur un sujet d’actualité – ici les droits culturels.

Neuf essentiels pour comprendre les «droits culturels» et le droit de participer à la vie culturelle, écrit par Céline Romainville en 2013, entend fournir des éléments d’explication de la notion de «droits culturels» et, plus précisément, du «droit de participer à la vie culturelle» dans le contexte des politiques culturelles.

  • Dans sa première partie, il a pour objet une description, une explication et une évaluation de ces notions. Essentiellement juridique mais accessible, le présent ouvrage s’est également ouvert à d’autres disciplines pour éclairer les enjeux que posent ces droits fondamentaux.
  • Dans sa deuxième partie, il fournit des notices bibliographiques relatives aux ouvrages considérés par l’auteure comme essentiels pour comprendre les droits culturels et, plus précisément, le droit de participer à la vie culturelle.

L’objectif est ainsi de permettre au lecteur de disposer des connaissances nécessaires en ce qui concerne ces droits fondamentaux et, sur cette base, de s’en saisir, de les remettre en perspective, de les interroger ou de les revendiquer.

Céline Romainville est chargée de recherches du Fonds National de la Recherche Scientifique et chargée de cours à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, à l’Université Saint-Louis-Bruxelles et à l’Université libre de Bruxelles. Ses recherches portent principalement sur le droit constitutionnel, le droit des droits de l’homme et le droit de la culture.


Sommaire

Introduction

Les droits culturels et le droit de participer à la vie culturelle

La protection internationale des droits culturels
Mylène Bidault

Human Rights in Éducation, Science and Culture. Legal developments and challenges
Yvonne Donders et Vladimir Volodin (dir)

Diversité culturelle et droits de l’homme. La protection des minorités par la Convention européenne des droits de l’homme
Julie Ringelheim

Le principe de standstill dans le droit des droits fondamentaux : une irréversibilité relative
Isabelle Hachez

Towards a right to cultural identity?
Yvonne Donders

Human Rights and Cultural Policies in a changing Europe. The right to participate in cultural life
R. Fischer, B. Groombridge, J. Hausermann et R. Mitchell (ed.)

Le pluralisme idéologique et l’autonomie culturelle en droit public belge. Vol I et II
Hugues Dumont

Les droits culturels et sociaux des plus défavorisés
Marc Verdussen (dir.)

Les droits culturels, une catégorie sous-développée de droits de l’homme
Patrice Meyer-Bisch (dir.)

Le droit de participer à la vie culturelle, une réalité juridique
Céline Romainville


Sur cette page du site de Culture & Démocratie, l’ouvrage est disponible en fichier pdf téléchargeable ou en version imprimée (sur commande).

15 ans de la Déclaration de Fribourg

A l’occasion du 15e anniversaire de la Déclaration de Fribourg, la Plateforme d’observation des droits culturels s’est rendue à l’Université de Fribourg pour participer aux deux journées consacrées à ce texte de référence en matière de droits culturels. Bon nombre de professionnel·les de ces matières juridiques ainsi que des secteurs culturels, sociaux et administratifs s’étaient réuni·es en vue d’entamer un travail de révision de la Déclaration et de rédaction d’un second texte sur les dimensions culturelles des autres droits humains. Les enjeux étaient donc de taille ! On en est ressorti enrichi de rencontres humaines significatives et d’échanges ouvrant sur de nouvelles perspectives de travail !

Plusieurs chercheur·ses sont intervenu·es sur des questions débattues dans le contexte des droits culturels. Qu’il s’agisse :

  • de la pertinence de ces matières juridiques par rapport aux conflits actuels et des exigences propres à une paix durable, de l’ambivalence propre au dissensus comme moteur de démocratie ;
  • de la valeur primordiale de l’information, comme base de tous les autres droits culturels ;
  • de la nécessité de faire commun à travers des mémoires et des patrimoines capables de prendre en compte la multiplicité des appartenances ;
  • de l’évolution du phénomène religieux, de la nécessité du dialogue interculturel plutôt que des postures relativistes, universalistes et réductrices des spécificités des cultures ;
  • de l’importance des droits culturels en matières de trajectoires migratoires.

S’en est suivi une table ronde autour des perspectives qu’ont offertes les droits culturels, de leurs succès mais aussi des défis actuels que la Déclaration doit encore relever. Le prisme des droits culturels et ce texte en particulier a permis de développer la participation culturelle en termes de méthodes et de contenus par rapport à des enjeux de co-construction, de création partagée, de coopération… En même temps, il s’est agi de questionner la dimension « opératoire », l’effectivité desdits droits, leurs effets concrets selon les pratiques et les pays. Par exemple, une recherche récente sur la réception de la Déclaration de Fribourg en Amérique Latine montre à quel point le texte tient lieu de socle pour appréhender la diversité et la multiculturalité dans le cadre des politiques publiques. Pensons à l’exemple de la Convention constituante au Chili qui fait de la culture un des enjeux majeurs à la suite de luttes sociales et économiques. Par ailleurs, en France, notamment avec la loi NOTRe, s’est posée la question de la mise en pratique de ces droits. C’est dans une optique pédagogique que s’est alors développée la démarche Paideia comme espace de travail, de réflexions sur les pratiques et les méthodologies de travail autour des droits culturels et de la Déclaration de Fribourg.

Si l’effectivité concrète des droits culturels est en progression dans différents territoires, cela reste une tâche au long cours qui pose plusieurs défis et problèmes liés à la mise en œuvre des normes juridiques. Le premier tient au degré même de référence aux articles de la Déclaration, ainsi qu’à la nécessité de nommer ces droits en tant que tels dans les pratiques de terrain ? L’intérêt en ce sens est de croiser les perspectives sur ces droits, celle de la Déclaration basée sur un travail conceptuel mais aussi celles théorisées par d’autres chercheurs·es en droits culturels ou dans les dimensions culturelles des droits humains, comme la recherche de Céline Romainville ancrée dans l’examen des textes juridiques. D’autres défis sont ceux que posent les droits culturels en termes de droits individuels et de droits collectifs, comment concilier les différentes réalités humaines à travers les droits pour être autant dans « le seul » que dans le « en commun », en vue de favoriser l’inclusivité et pointer vers l’intersectionnalité ? Comment intégrer des enjeux écologiques liés au développement durable qui soient décentrés de la stricte perspective humaine, plus particulièrement comment inclure des enjeux liés aux droits environnementaux, aux droits des écosystèmes et de la nature ? Comment soutenir et dynamiser d’autres types de fabrication de savoirs, qui prennent en considération des facteurs de symétrisation des savoirs, qui soutiennent d’autres modes de connaissance et d’expérience que celles propres aux paradigmes occidentaux ? Comment faire en sorte que les droits culturels résistent à l’instrumentalisation et la récupération politique, pour éviter qu’ils ne servent que de couche superficielle sans qu’aucune refondation des politiques publiques ne soient véritablement en cours ? Comment partager la responsabilité entre les différents niveaux de pouvoir quant à la mise en œuvre et l’effectivité des droits culturels ?

Pour tâcher d’adresser ces défis et problèmes, une première étape de travail a été de constituer des groupes en vue d’une révision de la Déclaration. Plusieurs sous-groupes sont partis du texte même de la Déclaration, un autre sous-groupe a mis en exergue la dimension transversale du numérique dans ce texte, et enfin, un dernier sous-groupe a questionné les enjeux de guerre et de paix à partir des articles de la Déclaration. Lors de la mise en commun des sous-groupes, est ressortie la nécessité de mieux interconnecter les droits entre eux, de mieux articuler les droits et les ressources disponibles, de veiller aux rapports aux êtres vivants, au non-humain, à l’environnement ainsi qu’aux dimensions collectives des droits. Une piste de travail en ce sens serait de préciser les définitions et compléter les terminologies utilisées dans la Déclaration, en ce qui concerne les questions de réparation et de prévention des conflits. Une autre piste serait d’étoffer le commentaire de la Déclaration pour y intégrer des enjeux portés par le numérique en matière de droits humains, des enjeux propres à la découvrabilité1, à la transformation des pratiques et usages, au non recours des droits culturels. Pour ce qui est à venir, des groupes de travail vont prolonger ces premières impulsions et les amener à se concrétiser dans le texte de la Déclaration et son commentaire.

La Plateforme (Maryline et Thibault) en plein échange avec différents intervenant·es (Groupe de Fribourg, Paideia, autres institutions et universités).

Une deuxième étape de travail a interrogé la centralité des droits culturels au sein des droits humains. À travers des groupes de travail thématiques, l’objectif était d’explorer les dimensions culturelles des droits humains au-delà des droits culturels au sens strict. Ce faisant, il s’est agi d’approcher les multiples dimensions du phénomène culturel pour tâcher d’en enrichir sa compréhension, pour en tracer les logiques systémiques et complexes à partir des droits humains. Réciproquement, l’enjeu était aussi de préciser dans quelle mesure l’objet même du droit est culturel, puisqu’il se situe dans une relation. Par exemple l’alimentation tient fondamentalement de la culture et pas juste dans ses usages ou d’un simple enjeu d’accès à la nourriture. Et ceci, même dans les situations d’urgence alimentaire. Interroger le droit à l’alimentation dans une logique de droits culturels signifie s’interroger et mettre en exergue les enjeux de dignité qui se jouent autour de l’objet du droit en lui-même (la nourriture) et travailler plutôt sur les relations de sens activées par l’acte de s’alimenter.2

Suivant la même logique de dignité, les groupes de travail ont débattu de la dimension culturelle des autres droits humains.

Vu l’ampleur de la tâche, ces groupes ont débuté leur travaux en balisant les champs conceptuels selon différents aspects. Qu’il s’agisse :

  1. du « travail », de sa signification, la créativité qu’il permet, de sa centralité sociale et de la métaphore de la culture comme un travail, des conditions dans lesquelles le travail s’exerce et de la liberté de pouvoir le choisir ou de faire le choix de ne pas travailler… ;
  2. du « soin », comme relation d’interdépendance et mode d’attention, de place de la dignité, de la transmission des pratiques de soin et la coproduction de ses savoirs, de la gouvernance, de l’institution des espaces de soin comme espaces de production de représentations culturelles… ;
  3. de l’« alimentation », de la dignité de son accès, des systèmes alimentaires, de ce que nourrir implique notamment dans son lien avec le vivant et les relations sociales, de la transmission et des savoir-faire, de la protection par l’État en contexte d’urgence mais aussi dans les situations courantes… ;
  4. de l’« habitat et du territoire », de la notion d’appropriation, des conditions d’habitat et des usages, de l’hospitalité, du rapport à l’environnement, de la spiritualité et la mémoire, des standards, de l’espace-temps et du territoire… ;
  5. de la « liberté d’expression », de sa nécessité de précision selon les contextes et milieux culturels, selon qui parle et comment, de l’enjeu de la réponse et de la relation de communication… ;
  6. de la « liberté d’association », des impacts économiques, sociaux et politiques, de la démocratie culturelle et du rôle de l’association dans la fabrique de la société, du pouvoir d’agir, de la régulation, de la responsabilité des acteurs publics, privés et sociaux,

Le travail des différents groupes thématiques est donc à poursuivre mais cette première étape ouvre déjà des perspectives autour d’une culture de la dignité à partir des dimensions culturelles des droits humains. Cela amorce une approche culturelle de la dignité dans laquelle la notion de jouissance aurait un rôle complémentaire à jouer avec la notion de reconnaissance. Des travaux enthousiasmants qui seront relayés sur le blog au fur et à mesure des avancées, la Plateforme participera d’ailleurs étroitement au groupe de travail sur le soin.

Sur le chemin enrichissant et lumineux du retour

1. La découvrabilité renvoie à la capacité d’un contenu d’être découvert, à la faculté de le rendre accessible et visible ainsi que de le mettre en valeur. Pour plus d’infos : <https://culturelaval.ca/guide-decouvrabilite-des-contenus-numeriques/>.

2. Publié par Culture & Démocratie, l’article de Christine Mahy problématise les droits d’accès et de participation à la vie culturelle. Elle analyse comment la mise en œuvre de ces droits à travers des politiques sociales a pu contribuer à des effets négatifs tels que la déprivation culturelle ou le manque de moyens pour accéder aux richesses culturelles. Par ce biais, elle appelle à lier la question des droits culturels à d’autres droits, à vérifier dans quelle mesure la culture produit de l’égalité ou de l’inégalité, ainsi qu’à promouvoir un droit à la reconnaissance citoyenne. Cfr Christine Mahy, « La mise en œuvre du droit de participer à la vie culturelle dans les politiques sociales », Cahier 05 de Culture & Démocratie, disponible en pdf <https://www.cultureetdemocratie.be/numeros/cahier-05-20-ans-de-culture-democratie-d-un-siecle-a-un-autre-nouveaux-enjeux-nouveaux-defis/>.