A la suite des articles Neuf essentiels – Pour comprendre les « droits culturels » et le droit de participer à la vie culturelle, Référentiels – Le droit à la culture, Céline Romainville et Référentiels – les droits culturels, le Groupe de Fribourg avec Patrice Meyer-Bisch et Référentiels – démocratie culturelle et démocratisation de la culture, nous poursuivons notre chantier reprenant les différents référentiels des droits culturels en vue de les présenter sommairement et les mettre en dialogue pour faire culture commune autour des droits culturels. Quatrième référentiel : des sources issues des droits international et national pour penser les droits culturels.
En Fédération Wallonie-Bruxelles, les différents référentiels des droits culturels précédemment évoqués et que l’on retrouve cités dans le décret des Centres culturels du 21 novembre 2013 et par divers acteur·ices du secteur et au-delà, sont tirés de multiples sources éparpillées de droits international et national. Les travaux de Céline Romainville et du Groupe Fribourg constituent ainsi des efforts de synthèse et de clarification de ces différents sources des référentiels des droits culturels. Reprenons quelques-unes de ces sources les plus emblématiques.
1948, Déclaration Universelle des droits de l’homme (dudh)
Pour l’historique, comme le précise l’ONU, le 10 décembre 1948, les 58 États Membres de l’ONU qui constituaient alors l’Assemblée générale ont adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) à Paris au Palais de Chaillot. Ce document fondateur – traduit dans plus de 500 langues différentes – continue d’être, pour chacun·e d’entre nous, une source d’inspiration pour promouvoir l’exercice universel des droits humains.
Le texte est une déclaration, c’est-à-dire que ce type d’instrument juridique est un énoncé de principe tenu comme universel. À la différence d’une convention, une déclaration n’est pas un accord par lequel les États s’engagent en droit international. Contrairement aussi aux conventions, les déclarations ne sont pas ratifiées par les États, et n’exigent pas que les États soumettent des rapports sur leur mise en vigueur. Même si elles n’ont pas force obligatoires en droit international, les déclarations – et notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme – s’entourent d’une autorité morale très importante. La Déclaration universelle est perçue comme l’énoncé le plus clair et le plus vigoureux des principes universels des droits de la personne sur la scène internationale1.
Le texte énonce les droits fondamentaux de l’individu, droits inaliénables et inviolables de tout être humain, ainsi que la reconnaissance et le respect de ces droits par la loi. Il comprend un préambule avec huit considérations reconnaissant la nécessité du respect inaliénable de droits fondamentaux de l’homme par tous les pays, nations et régimes politiques, et qui se conclut par l’annonce de son approbation et sa proclamation par l’Assemblée générale des Nations unies. La Déclaration comprend 30 articles qui consacrent chacun un droit ou une liberté fondamentale. Elle reconnaît les droits civils et politiques, économiques, culturels et sociaux de chaque être humain.
En matières de droits culturels, deux articles sont à retenir en particulier. L’article 22 stipule que « toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction de droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation des ressources de chaque pays. » Comme l’indique Céline Romainville dans le Neuf Essentiels, il s’agit ici de la première citation des droits culturels rapprochés des droits économiques et sociaux en tant qu’ils sont des droits-créances. Autrement dit, il s’agit de droits dont le bénéfice est soumis à la condition de ressources suffisantes de l’État, à la différence des droits-libertés avec les droits civils et politiques qui protègent la personne, ses biens et lui garantissent l’exercice de sa citoyenneté.
L’article 27 de cette déclaration établit que : « 1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. 2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. » Selon Céline Romainville, avec cet article, est reconnu pour la première fois en droit international le droit de participer à la vie culturelle (article réf) et ce, dans un sens assez large puisqu’il est question de vie culturelle, en ce compris notamment les arts mais aussi des avancées scientifiques et de la vie culturelle plus large également. Un point de débat tient à la reconnaissance des droits d’auteur en tant que droits humains ou bien davantage qu’ils présentent un caractère d’intérêt privé et professionnel. Nous renvoyons vers l’ouvrage Neuf Essentiels pour un plus long développement.
1966, « CHARTE INTERNATIONALE DES DROITS DE L’HOMME » ET pACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
En décembre 1966, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté deux traités internationaux qui ont également façonné le droit international des droits de l’homme : le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques . Ces documents sont souvent appelés les « Pactes internationaux ». Ensemble, la Déclaration universelle et ces deux Pactes forment la Charte internationale des droits de l’homme.
Contrairement à la Déclaration, les deux pactes des droits civils et politiques, ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels sont contraignants. C’est dire que les pactes identifient les responsabilités qui incombent aux États pour respecter, protéger et réaliser les droits civils et politiques, ainsi que les droits économiques, sociaux et culturels. Comme le précise le site du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits humains (OHCHR), cela veut que les textes engagent leurs signataires à des obligations de :
- Respect : les États doivent s’abstenir d’interférer directement ou indirectement avec ces droits. Par exemple, l’État ne doit pas torturer ni réduire en esclavage. L’État ne peut pas obliger à travailler dans une région qui n’a pas été librement choisie ou empêcher de parler sa/ses langues.
- Protection : Les États doivent prendre des mesures pour s’assurer que d’autres entités, comme des entreprises, des groupes politiques ou d’autres personnes, n’interfèrent pas avec ces droits. Par exemple, l’État doit empêcher les discours de haine en raison de l’origine ou de l’identité. En outre, l’État doit s’assurer que les entreprises privées offrent un salaire équitable pour le travail et ne donnent pas des salaires différents aux hommes et aux femmes qui font le même travail.
- Réalisation : Les États doivent prendre des mesures pour réaliser les droits. Par exemple, l’État doit fournir des services d’interprétation pendant les procès si l’accusé ne peut pas parler la langue parlée au tribunal. L’État doit prévoir le budget nécessaire pour que chaque personne puisse accéder aux médicaments et être à l’abri de la faim.
En particulier, l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) reprend les points de l’article 27 de la DUDH. Comme le précise Céline Romainville (réf), l’article cite, au rang des « droits culturels » : le « droit de participer à la vie culturelle », « le droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications », « le droit de bénéficier de la protection de ses intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique et la liberté scientifique et culturelle. ». Pour étayer les éléments et les obligations contraignantes, nous renvoyons aux développements repris dans le Neuf essentiels, notamment en matière de droit de participer à la vie culturelle, de droit de bénéficier des progrès scientifiques et de ses applications, de droit de protection des auteur·ices.
1993, la constitution belge
Au niveau belge, il faudra attendre 1993 et la réforme institutionnelle pour que les droits culturels soient introduits à l’article 23 de la Constitution belge, en tant que « droit à l’épanouissement culturel et social ». Dans le texte repris par Céline Romainville dans le Neuf Essentiels, « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice. Ces droits comprennent notamment : (…) 5° le droit à l’épanouissement culturel et social. »
Dans une analyse plus spécifique, « Contenu et effectivité du droit à l’épanouissement culturel », Céline Romainville revient sur cet article 23 de la Constitution : « Le droit à l’épanouissement culturel est consacré par la Constitution belge et par des textes internationaux de protection des droits de l’homme. Malgré leur manque de précision et le peu d’informations disponibles, l’on peut tirer du prescrit constitutionnel des travaux préparatoires, des arrêts de la Cour constitutionnelle et de l’analyse des textes internationaux que le droit à l’épanouissement culturel est le droit de participer à la diversité culturelle, et notamment à la vie culturelle de sa communauté, c’est-à-dire le droit de recevoir les moyens culturels et financiers pour accéder aux cultures et s’exprimer de manière artistique.
Les titulaires de ce droit sont les citoyens et c’est aux pouvoirs publics qu’il incombe de le concrétiser. Le droit à l’épanouissement culturel impliquant le droit d’accéder à la diversité culturelle, les pouvoirs publics ont le devoir de soutenir celle-ci, dans les limites du raisonnable. »
Au cours de son analyse, Céline Romainville tire un constat quant à l’effectivité de ce droit à l’épanouissement qui résonne avec le chantier référentiel qui nous occupe : « Le droit à l’épanouissement culturel en tant que tel n’a donc pas trouvé de formidable écho près des juges ou des législateurs. Cependant, la logique de démocratisation et de démocratie culturelle qui l’anime est bien présente dans l’esprit de nombreuses initiatives prises par les législateurs communautaires. Ainsi, en Communauté française, les initiatives progressent. Les bibliothèques, médiathèques, centres culturels et associations de promotion de la culture sont d’excellentes réalisations qui rendent la culture indiscutablement plus accessible et permettent à tous de participer. A tout le moins, l’insertion du droit à l’épanouissement culturel érige en objectif constitutionnel la poursuite de la démocratisation culturelle.
Ces effets juridiques tendent, peu à peu, à la mise en œuvre effective du droit de s’épanouir dans la culture. Il faut espérer que les pouvoirs publics, conscients de l’importance de ce droit fondamental, mettent à profit la latitude qui leur est laissée par la Constitution et imaginent des solutions nouvelles. Ils contribueraient ainsi au développement d’une véritable démocratie culturelle. Et même s’ils oublient de consacrer explicitement ce droit en tant que tel, l’objectif de démocratisation culturelle et de démocratie culturelle imprègne déjà largement les politiques culturelles. Comme objectif constitutionnel, le pari du droit à l’épanouissement culturel est en voie d’être réussi. Mais il reste du chemin à ce droit constitutionnel pour qu’il soit totalement effectif, pour les juges, pour tous les législateurs, et tous les citoyens. »
2005, Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, Unesco
Dans l’article de présentation de la Convention, l’UNESCO explique que les secteurs culturel et créatif sont devenus essentiels à une croissance économique inclusive, réduisant les inégalités et réalisés les objectifs fixés dans le Programme de développement durable pour 2030. L’adoption de la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a marqué un tournant pour la politique culturelle internationale. A travers cet accord, a été reconnu la double nature, à la fois culturelle et économique, des expressions culturelles contemporaines produites par les artistes et les professionnels de la culture. En reconnaissant le droit souverain des États de conserver, d’adopter et de mettre en œuvre des politiques visant à protéger et à promouvoir la diversité des expressions culturelles, tant sur le plan national que sur le plan international, la Convention de 2005 aide les gouvernements et la société civile à trouver des solutions politiques aux défis émergents. Basée sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales, la Convention de 2005 fournit en fin de compte un nouveau cadre pour des systèmes de gouvernance de la culture informés, transparents et participatifs.
Selon l’Observatoire de la diversité et des droits culturels de Fribourg, « la diversité des expressions culturelles est un patrimoine vivant à reconnaître, protéger et valoriser au service des personnes et de leurs sociétés. Cette diversité de ressources culturelles compose une richesse qui « élargit les choix possibles, nourrit les capacités et les valeurs humaines , (…) elle est donc un ressort fondamental du développement durable des communautés, des peuples et des nations« . Sa protection et sa mise en valeur requièrent une action participative et collective, importantes pour la « pleine réalisation des droits de l’homme » et « pour la cohésion sociale en général« . La vision est donc large et transversale et ne se réduit pas aux activités artistiques, mêmes si celles-ci sont en première ligne dans la Convention. Outre les libertés d’expression spécifiquement visées, c’est l’effectivité du droit de participer à la vie culturelle qui est directement en jeu, un « panier » de droits culturels, au cœur de l’ensemble des droits humains.»
Selon Céline Romainville, dans le Neuf essentiels, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée le 20 octobre 2005 reconnaît indirectement le droit de participer à la vie culturelle dans le rappel des droits culturels et dans le principe de l’ »accès équitable à une gamme riche et diversifiée d’expressions culturelles provenant du monde entier et l’accès des cultures aux moyens d’expression et de diffusion. D’autres conventions relatives au patrimoine culturel, émanant notamment de l’ONU ou de Conseil de l’Europe, consacrent également, de manière directe ou indirecte, des éléments du droit de participer à la vie culturelle.
A noter que dans ces conventions et dans d’autres sources internationales du droit de participer à la vie culturelle, il faut souligner que la portée de ces textes n’est pas figée. Ainsi, par exemple, le droit de participer à la vie culturelle est peu à peu reconnu dans la jurisprudence de la Cour européen des droits de l’homme même s’il n’est pas consacré en tant que tel dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
Selon Michaël Oustinoff, dans son article « Les points clés de la Convention sur la diversité des expressions culturelles », la Convention « ne concerne pas tous les aspects de la diversité culturelle. Néanmoins, elle présuppose la reconnaissance, à terme, du droit à la diversité culturelle à l’intérieur de chaque État signataire, avec toutes les implications politiques que cela entraîne. C’est là sa force mais également sa faiblesse : elle dépend de la volonté des États. Et, à parcourir le Rapport mondial sur le développement humain, 2004, du Pnud il n’est pas sûr que celle-ci soit toujours très affirmée. Bien au contraire ! Voilà pourquoi l’Unesco a bien fait de mettre en place des « mécanismes de suivi » (Conférence des parties, Comité intergouvernemental) et un « organisme de règlement des différends ». Pour que la Convention, sous sa forme actuelle, marque véritablement un tournant, encore faut-il que les États s’en donnent les moyens. »
2009, Observation générale n°21, Comité des droits économiques, sociaux et culturels
Ce texte revient sur l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il précise entre autres le contenu normatif propre aux différents éléments du droit de participer à la vie culturelle, par exemple quant à des enjeux de disponibilité, d’accessibilité, d’acceptabilité, d’adaptabilité et d’adéquation. En soulignant les liens avec les autres droits humains reconnus dans les instruments internationaux, le texte souligne certaines limitations possibles. Par la suite, il dégage des thèmes spéciaux de portée générale (non-discrimination, égalité de traitement). Il distingue des personnes et communautés ayant besoin d’une protection spéciale (femmes, enfants, personnes âgées, personnes handicapées, minorités, migrant·es, peuples autochtones, personnes vivant dans la pauvreté). En ce sens, des rapports sont établis entre diversité culturelle et droit de participer à la vie culturelle.
Enfin, l’Observation insiste sur les obligations des États parties, qu’il s’agisse d’obligations juridiques générales et spécifiques, d’obligations fondamentales ou internationales, ainsi que lors de la mise en œuvre au niveau national. Le texte précise également les violations possibles lorsque les obligations ne sont pas acquittées par les États parties. Plus largement, l’Observation clôture sur les obligations des acteur·ices autres que les États parties, en particulier les membres de la société civile, le secteur privé et les organisations internationales.
Pour Céline Romainville, dans le Neuf Essentiels, l’Observation générale 21 reflète l’extension de l’objet du droit de participer à la vie culturelle. Ce texte repose sur une conception très large de la culture, insatisfaisante d’un point de vue juridique. L’Observation est cependant uniquement un instrument interprétatif du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, elle ne peut être considérée comme indépassable.
Pour Luc Carton, comme il l’indique en conclusions du livret Comment observer l’effectivité des droits culturels?, l’Observation en écho avec la Déclaration de Fribourg ouvre la définition de la culture au-delà du clivage entre secteur/champ des Beaux-Arts et du Patrimoine, et « société des loisirs » pour proposer une définition plus anthropologie et élargie. Plus fondamentalement et en écho avec le décret des centres culturels, il faut alors articuler au sein d’une architecture plus globale les différentes définitions qui sont données dans l’article 1er 5° et 9°, entre droits à la culture et droits culturels, ainsi qu’à l’article 2 donnant les principes, missions et moyens sous l’influence de la démocratie culturelle.