La collection des «Neuf essentiels» est une initiative éditoriale de l’asbl Culture & Démocratie qui consiste en une compilation, longuement introduite et commentée, de notices bibliographiques concernant des ouvrages incontournables pour qui veut s’informer sur un sujet d’actualité – ici les droits culturels.
Neuf essentiels pour comprendre les «droits culturels» et le droit de participer à la vie culturelle, écrit par Céline Romainville en 2013, entend fournir des éléments d’explication de la notion de «droits culturels» et, plus précisément, du «droit de participer à la vie culturelle» dans le contexte des politiques culturelles.
Dans sa première partie, il a pour objet une description, une explication et une évaluation de ces notions. Essentiellement juridique mais accessible, le présent ouvrage s’est également ouvert à d’autres disciplines pour éclairer les enjeux que posent ces droits fondamentaux.
Dans sa deuxième partie, il fournit des notices bibliographiques relatives aux ouvrages considérés par l’auteure comme essentiels pour comprendre les droits culturels et, plus précisément, le droit de participer à la vie culturelle.
L’objectif est ainsi de permettre au lecteur de disposer des connaissances nécessaires en ce qui concerne ces droits fondamentaux et, sur cette base, de s’en saisir, de les remettre en perspective, de les interroger ou de les revendiquer.
Céline Romainville est chargée de recherches du Fonds National de la Recherche Scientifique et chargée de cours à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, à l’Université Saint-Louis-Bruxelles et à l’Université libre de Bruxelles. Ses recherches portent principalement sur le droit constitutionnel, le droit des droits de l’homme et le droit de la culture.
Sommaire
Introduction
Les droits culturels et le droit de participer à la vie culturelle
La protection internationale des droits culturels Mylène Bidault
Human Rights in Éducation, Science and Culture. Legal developments and challenges Yvonne Donders et Vladimir Volodin (dir)
Diversité culturelle et droits de l’homme. La protection des minorités par la Convention européenne des droits de l’homme Julie Ringelheim
Le principe de standstill dans le droit des droits fondamentaux : une irréversibilité relative Isabelle Hachez
Towards a right to cultural identity? Yvonne Donders
Human Rights and Cultural Policies in a changing Europe. The right to participate in cultural life R. Fischer, B. Groombridge, J. Hausermann et R. Mitchell (ed.)
Le pluralisme idéologique et l’autonomie culturelle en droit public belge. Vol I et II Hugues Dumont
Les droits culturels et sociaux des plus défavorisés Marc Verdussen (dir.)
Les droits culturels, une catégorie sous-développée de droits de l’homme Patrice Meyer-Bisch (dir.)
Le droit de participer à la vie culturelle, une réalité juridique Céline Romainville
Trop chère la vie. Récits, outils, perspectives sur les dettes de la vie courante.
Dès 2004, Culture & Démocratie s’intéresse à la question de la dimension culturelle du travail social et constitue un groupe de travail autour de cette thématique. Au fil des ans, plusieurs travaux voient le jour, militant notamment pour la présence, forte, dans les programmes de formation des travailleur·ses sociales, d’une sensibilisation et d’une pratique artistiques, et questionnant l’effectivité des droits culturels dans les pratiques de ces travailleur·ses.
Etape supplémentaire dans ce travail de recherche et d’analyse mené par Culture & Démocratie sur ces matières, l’ouvrage Neuf essentiels sur la datte, le surendettement et la pauvreté parait en 2019. Cette étude, fruit d’une première collaboration entre Culture & Démocratie et le collectif Esquifs, proposait une sélection d’une quinzaine de livres, présentés et commentés, nécessaires à la compréhension de la problématique du surendettement. Une introduction d’Esquifs rendait compte du chemin de pensées que ce collectif de non-expert·es avait entrepris. S’y développait le parcours documentaire qu’ils et elles avaient mené sur ces questions via notamment un dispositif de lecture en commun issu de l’éducation populaire: l’arpentage. Ces recherches formaient le terreau d’où émergerait une pièce de théâtre de Rémi Pons, alors encore en gestation: Apnée.
C’est dans la suite logique de cette première collaboration que Culture & Démocratie s’associa à l’organisation de la semaine « Trop chère la vie » du 6 au 12 juin 2022 au Centre culturel Bruegel ainsi que dans l’édition du présent ouvrage. Imaginé comme un outil, cette publication reprend les principales thématiques travaillées tout au long de la semaine – dette et logement, dette et santé, dette et précarité féminine. Vous pourrez y lire des comptes-rendus d’ateliers, des récits de performances, des extraits de la pièce Apnée ainsi que des contributions plus analytiques. Vous trouverez aussi en fin d’ouvrage, un plaidoyer, des propositions pour demain imaginées avec des membres de l’asbl Trapes. Nombreuses, utopiques penserez-vous peut-être, elles nous paraissent autant de matières à réflexions nécessaires pour imaginer ensemble un monde qui ne serait plus structuré autour du seul « système dette » capitaliste.
Dans cet article inédit, le philosophe et enseignant Christian Ruby* analyse de façon critique le concept de « santé culturelle » porté par différentes politiques culturelles en France. Cette notion partage les populations en termes de bonne ou de mauvaise santé culturelle, par exemple selon la participation plus ou moins active ou passive des individus à la vie culturelle. Fondée sur nombre de présuppositions quant aux pratiques culturelles, cette extension du vocabulaire de la santé au champ culturel transforme des problématiques de la vie culturelle liées à des rapports sociaux et tensions politiques en des pathologiesquasi-médicales, que les actions des professionnel·les et expert·es culturel·łes doivent dès lors tenter de guérir. Ainsi, à travers cette « normativité sanitaire » et les discours qui la légitiment, la culture s’entend comme la formation de l’individu à partir de normes qui lui sont extérieures et pré-établies, sans qu’il ait de pouvoir d’agir propre ou d’autre ligne de devenir.Voilà de quoi nous donner matière à réflexion quant à nos politiques et pratiques culturelles en Belgique.
Les visuels de l’article sont disponibles dans le kit de médiation proposé par le Ministère de la Culture français – Conception par Sophie Marinopoulos et design graphique réalisé par Clémence Passot
Elle file à toute allure entre les lignes de discours ministériels, de propos diffusés dans et par de nombreuses associations culturelles, voire au sein de dossiers de conseillers municipaux engagés dans l’action culturelle. « Elle » ? Rien d’autre que l’expression « santé culturelle ». Elle est associée à des compléments : « de la population » ou des « citoyennes et citoyens », voire des « habitantes et des habitants », etc. Elle est cependant moins générale que ces compléments ne le laissent supposer. En effet, elle est spécifiquement appliquée à l’exécution d’une distinction interne à la population, sur une partie de laquelle elle incite à entreprendre des actions culturelles différenciées. Cette distinction repose sur l’appréciation de la « bonne » ou de la « mauvaise » santé culturelle des individus. Elle distribue ainsi les citoyennes et les citoyens en catégories dont les extrêmes regroupent les « populations en bonne santé culturelle » et les populations stigmatisées « en mauvaise santé culturelle », sachant que l’établissement d’une moyenne entre ces extrêmes à appliquer au corps politique ne ferait rien d’autre que dissimuler l’antithèse.
Cette expression, ainsi que les discours qui la légitiment et les pratiques qu’elle assigne, notamment sous forme d’un kit mis à disposition des professionnels de la culture, est récente dans le champ de la culture et dans les usages des opérateurs de la culture. Elle a sans doute pris le temps de germer avant d’être érigée en fétiche parce qu’elle donne sens à des pratiques pédagogiques. Au demeurant désormais adossée aux travaux d’une psychanalyste, Sophie Marinopoulos, dorénavant égérie des politiques interministérielles de l’éveil artistique et culturel, grâce à son dessein de concevoir et déployer une « stratégie nationale pour la Santé Culturelle », laquelle viserait d’abord à « Promouvoir et pérenniser l’éveil culturel et artistique de l’enfant de la naissance à trois ans dans le lien à son parent », elle se trouve le plus souvent élargie par rapport au propos initial de sa conceptrice à toute la population dont certains voudraient dénoncer la « passivité réceptrice ».
Cette naissance d’une politique de santé culturelle des populations mérite qu’on s’en étonne, la questionne et qu’on exerce une pensée critique à son égard. D’autant que ce vocabulaire de la santé est toujours plus envahissant dans les activités sociales. Ne parle-t-on pas de « santé économique » des entreprises ou de « santé morale » des individus, etc. ? Cela étant, pour en rester au cas spécifique de la culture, c’est au point de cerner le domaine culturel en termes d’organismes à activer et d’élaboration de stimuli destinés à produire des excitations « bénéfiques ». Cette politique incite à une extension de l’idéologie de la médecine hors de son domaine. Elle confère une nature médicale à des représentations des tensions sociales qui devraient plutôt être conçues politiquement. Parfois, une telle doctrine est imposée aux professionnels de la santé/culture auxquels est enjoint de rendre à certains la « bonne santé culturelle » et de les guérir durablement. Cette « bonne santé culturelle » servirait de norme de l’ordre culturel, tandis que la « mauvaise » verserait dans le désastre, voire l’infraction culturelles.
Ces remarques qui portent sur la redéfinition d’un problème existant – celui des discriminations – dans un langage médical n’impliquent pas la même réticence à l’égard de la possibilité de concevoir culturellement la santé des humains, de penser les rapports de la santé et de la culture, le poids des inégalités culturelles sur la santé, les liens de la santé et du travail en entreprise, mais aussi la formation culturelle des citoyennes et citoyens à partir des arts et des sciences ou de l’éducation artistique et culturelle. Pas plus qu’elles n’impliquent une critique de ce qui n’est pas en question ici, « la grande santé » nietzschéenne ou « l’excès de santé » baudelairienne, dans la peinture qui pratique l’outrance, voire l’usage de la notion de « diagnostic » chez Michel Foucault !
Des présuppositions
L’exigence dessinée par la notion de santé culturelle, en outre de fournir des raisons à des types d’action particuliers, plutôt empiristes comme le contact avec des œuvres culturelles, renvoie à de nombreuses présuppositions.
Parmi elles, la première engage la fusion de « santé » (substantif) et de « culture » (adjectif), disons, si on suit la doxa, l’assimilation d’une conception de la norme du bon état d’un être ou du bon fonctionnement d’un organisme et de ce qui devrait consister en une action de formation ou de mise en forme de soi de chaque individu par des exercices culturels, dans un cadre politique défini mais toujours remis en question par des œuvres nouvelles. Compte tenu de l’ordre des termes, l’assemblage s’accomplit sous le primat de la santé.
Dès lors, cette présupposition tend à imposer aux individus discernés une éducation culturelle façonnée à l’aune d’une norme extérieure de soin et de thérapie, d’hygiène de vie et de combat contre des causes pathologiques culturelles, qui ne peut être assignée ou entretenue que par des professionnels concentrés sur une mission de « politique sanitaire ». En quoi elle tombe dans un paradoxe, celui de prôner à juste titre une plasticité des individus – ils peuvent se modeler – qu’elle décourage aussitôt en convoquant une norme culturelle de référence, comprise comme une prescription attendue, aussi précise et réglable qu’une mécanique.
Si cette première présupposition est déjà contestable, elle s’articule à une autre par la référence à un « bon état » ou un « mauvais état » des affaires culturelles des individus. Cet aspect ne lasse pas d’accentuer le danger. Comment sont définis ces deux critères du salubre et de l’insalubre ? Qui s’octroie le pouvoir de les décréter et d’opérer avec eux un diagnostic sur des individus qui ne sauraient donc pas qu’ils sont en « bonne » ou « mauvaise » santé ? À partir de quelles causes caractéristiques ou décrépitudes juger de la gravité de la situation et délivrer une ordonnance contre le mal ? Et quels rapports entretiennent-elles avec la question de la culture telle qu’elle prend sens dans l’histoire et la cité ? Toutes questions que les milieux médicaux de la santé connaissent en fonction de leur objet propre. Encore relèvent-elles dans ce cas de travaux précis portant sur un concept de santé dont ils savent qu’il n’est pas un concept scientifique – Jean-Jacques Rousseau estime que la santé est un élément constituant de la nature et il diagnostique que la civilisation provoque les maladies (l’arbitraire, l’ignorance et la chair, y compris les pratiques médicales de son époque) qui ne peuvent être guéries que par une éducation renouvelée et la connaissance de soi –, sur la conception sociale plus que médicale, justement, des normes de la santé.
Encore ces deux premières présuppositions s’amplifient-elle d’une troisième. Celle qui concerne la « maladie » culturelle (la mauvaise santé) et la guérison à y apporter. Cette notion de « maladie », qui serait cette fois culturelle mais non moins suspecte que l’ancienne « folie » ou « maladie mentale », renforcerait alors le traitement que l’opinion veut infliger à l’« anormal » et au « pathologique » culturels. Si santé culturelle il y a, elle pourrait donc se consolider ou se détériorer, se consolider par des stimuli et se détériorer par le truchement d’agents pathogènes contre lesquels nul n’aurait été prévenu ! Encore faut-il envisager le « patient » comme un être qui se trouverait parfois corrompu par ces agents internes ou externes que quelques techniques de traitement empirique appropriées dissoudraient : comme, auprès d’enfants ou d’adultes, « stimuler » l’esprit par le contact, défaire la « passivité » culturelle, « nourrir » l’esprit qui fait montre de sa « malnutrition », dessiller ses yeux, le concentrer sur des références dont le surgissement vaudrait exercice de l’attention, voire, en termes plus contemporains, combattre la déculturation des jeunes générations (par fait d’ordinateurs, de réseaux sociaux, etc.). Toutes techniques appuyées sur une image des constituants de l’esprit individuel, et de son étrangeté cadavérique potentielle.
En fin de compte, et notamment pour ce langage commun, l’expression « santé culturelle » ne trouve à s’appliquer qu’à partir de la logique des verbes « être » (une copule fixante) et « avoir » (déterminant de possession), excluant les devenirs. Les individus « seraient » en bonne ou en mauvaise santé, ils « auraient » la santé ou « auraient » sur eux des signes de décrépitude. En tout état de cause, la santé évoquerait l’idée d’une force qui pourrait se détériorer en obligeant à nommer des parias afin de les soigner, d’une aptitude à résister aux agressions extérieures, d’une constitution solide.
Fracture, faillite et fébrilité
Au cœur de ces présupposés, reste à éclaircir la question de savoir à quoi est suspendu le diagnostic de la « mauvaise » santé culturelle. Se décline-t-elle à partir d’un constat objectif ou relève-t-elle d’une construction normative imposée au corps social par la logique de la domination et des fractures qu’elle instaure. Ce qui commande les discours motivant notre critique, c’est le fait que la solution est donnée avant l’analyse, des fractures semblent à la fois données et paradoxalement fixées alors qu’on voudrait les réduire. Or, s’il y a bien des fractures internes à nos sociétés, lesquelles peut-on montrer résultent d’une histoire et de rapports sociaux à problématiser, ce ne sont ni des fractures surnaturelles, ni des fractures relevant d’une essence ou d’un être des individus auprès desquels on serait censé les constater.
Une autre difficulté décisive porte sur l’usage du terme « culture », ici adjectivé. La culture, décidément, comme la santé est conçue comme un « être », une « manière d’être » ou un « avoir ». Les propos sur la santé culturelle, ainsi conçus à partir d’un modèle nostalgique de la santé, ne peuvent se détacher de l’idée selon laquelle « culturel » ou « cultivé » serait donné à certains, sous certaines modalités servant alors de normes. Il suffirait de les appliquer à ceux qui sont « inertes » grâce à des objets stimulants. Or, là encore, s’il y a bien une question culturelle interne à nos sociétés, la culture ne peut être assimilée ni à des objets culturels spécifiquement requis pour « être » en bonne santé culturelle, ni à des références-types à partir desquelles une « maladie » culturelle pourrait être cernée, ni d’ailleurs aux normes imposées par des institutions culturelles. Elle relève plutôt d’une formation à une multiplicité de démarches (arts, sciences, etc.), de l’hétérogénéité des jugements et de dissentiments culturels propres à rendre le champ culturel dynamique, toujours en devenir.
Face à ces expressions qui traversent désormais le champ culturel, d’autres considérations viennent à l’esprit. Elles sont de plusieurs ordres.
Sociologique : comment considère-t-on ces familles atomisées qui font l’objet de la thérapie, sinon par le mépris puisque celles qui sont désignées comme « malades » semblent l’être par nature, au point qu’il conviendrait de les faire passer de la nature à la culture ou de la passivité à l’activité, en ne se préoccupant guère du fait que nul ne passe jamais de la nature à la culture, mais toujours d’une forme culturelle à une autre ?
Politique : d’abord au sens des politiques culturelles. Cette notion de santé culturelle affirme donc que les institutions échouent à jouer le rôle normatif qui est le leur, et qu’il convient de reprendre le dossier à partir de nouveaux traitements. Elle annonce la faillite de ces institutions mais sur une fondation plus normative encore que celle qui les traverse depuis longtemps, qu’il s’agisse de démocratisation ou de démocratie culturelles.
Éthique : ce rapport, entre « bonne » et « mauvaise » santé culturelle est réglé d’emblée comme un rapport de domination, puisque seuls quelques-uns disposent de la « bonne santé » qu’il s’agit d’imposer aux autres. Les conséquences de ce positionnement sont évidemment nombreuses. Mais surtout elles reposent sur l’implicite reconnaissance des difficultés imparties, à partir d’un aveu requis d’ignorance : l’impératif de dire à quelqu’un qu’il ne sait pas exactement d’où il vient (du « mauvais » côté), quel est son « genre » culturel (sa généalogie familiale désastreuse), que son milieu est « malade », que la solution de ses « problèmes » est dans la soumission au traitement proposé.
Des légitimations
Entre les lignes des discours ministériels, des propos diffusés dans les nombreuses associations culturelles qui s’en réclament, voire des dossiers de conseillers municipaux engagés dans l’action culturelle, ce thème de la santé culturelle fait également l’objet de légitimations discutables. Nous ne chicanerons pas celle qui affirme l’importance de la culture dans l’existence des humains. Bien au contraire. Pas plus que nous n’épiloguerons sur celle qui assure la nécessité et la portée des exercices culturels dans toute société.
Plus suspectes sont les légitimations de la nécessité théorique et pratique d’imposer une telle optique d’une santé culturelle par la formation culturelle des individus et par un signe adressé à la philosophique grecque. Arrêtons-nous sur ces deux légitimations.
La première incite, apparemment à juste titre, à repenser la formation culturelle des individus. Encore est-ce, comme nous l’avons écrit, par fait d’une appréciation portée contre une détérioration soi-disant attestée de celle-ci ou d’une déclaration d’inconsistance de ce qui se pratique actuellement dans tel ou tel milieu. Mais cette légitimation fait l’impasse sur ce qu’elle véhicule en termes de hiérarchie dans les prestations culturelles, de négation des différences dans les formations culturelles et les droits culturels, d’ignorance des dissentiments culturels. Elle valorise l’imposition, l’uniformité et l’homogénéité des conceptions et des références. Elle repose en fin de compte sur une perception d’une cité modélisée à l’aune de la culture des institutions sociales, culturelles et politiques.
S’il y a conflit autour de cette légitimation, c’est que cette idée d’une santé culturelle confond la formation culturelle des individus avec la manière de les former. Or, qui dit formation (au sens de Bildung) dit exercices des femmes et des hommes à la capacité à demeurer debout en toutes circonstances, en un déploiement de règles de l’existence multipliant le refus des assignations dans un échange et une solidarité avec les autres, dans leur proximité et leur altérité. La formation culturelle fabrique des compétences destinées à aider les humains à construire des trajectoires au cours desquelles les existences s’amplifient en refusant de se soumettre ou se disloquer, devant la nécessité de vivre humainement l’échec, la souffrance, voire la finitude. La culture relève d’une tâche infinie. Elle se déploie historiquement, par ruptures et reconfigurations, en processus de resignification des actions et des discours.
En quoi « culture » ne devrait désigner ni une essence ou une identité, ni uniquement un monde d’objets ou de ressources spécifiques (culture élitiste ou cultivée), ni une discipline à apprendre (déterminée par un programme et assignée à des spécialistes, type universitaire), ni une somme de connaissances. Elle ne se réduit pas non plus à une doctrine d’État, relevant d’un ministère de la Culture, par ailleurs nécessaire. De surcroît, s’il faut refuser de la dissocier entièrement de ses institutions et personnels, la culture est plus et autre chose qu’eux.
La seconde légitimation vise à soutenir que cette idée de santé culturelle pourrait restaurer dans notre monde certains principes de la philosophie grecque, ce qui en fortifierait la légitimité, du moins philosophique ou aux yeux des philosophants. Ainsi dit-on que cette idée de santé appliquée à la culture revalorise l’idée antique de « soin de l’âme ». Effectivement, l’on ne peut nier l’ambition thérapeutique de certaines philosophies de l’antiquité. Pour autant, ce qui fait en elles office de santé se dit d’abord « salut » et plus exactement « salut de l’âme », identiquement « santé de l’âme » dans son rapport à la « santé du corps ». Si l’on prend en profil la philosophie d’Épicure, on y lit bien que le salut, la santé et le soin sont trois termes qui se conjuguent effectivement, mais parce qu’ils ont leur unité dans les exercices philosophiques en leurs trois parties (logique, physique et éthique), et non pas dans des normes imposées de l’extérieur, comme le souligne un autre philosophe, cette fois stoïcien, Épictète : « Ceux qui reçoivent simplement les principes veulent les rendre immédiatement, comme les estomacs malades vomissent les aliments. Digère-les d’abord et, ensuite, ne vomis pas ainsi ; sinon, il advient cette chose sale et répugnante que sont les aliments vomis » (Entretiens, trad. Émile Bréhier, Paris, Gallimard, 1962, livre III, chap. XXI).
Dès lors, l’allusion de l’usage ici critiqué de santé à l’Antiquité, ou son analogie avec elle, afin de la légitimer n’a que peu de rapport avec elle. La version grecque ne promet aucune imposition, aucune norme extérieure, mais un ensemble d’exercices à pratiquer en forme de« souci de soi », en rapport avec une théorie du désir, des affections (du pathos), le plaisir au demeurant n’étant pas exclu s’il est approprié à la dynamique du vivant et de l’existant. Et ceci,même si l’Antiquité affirme souvent que l’homme en lequel la raison domine est plus sain que celui qui s’abandonne à la pente de ses désirs (agitation, inattention, fébrilité, inconstance,autant de « maladies » de l’âme), de sorte qu’il est effectivement possible de parler, à certains égards, d’une philosophia medicans, d’une philosophie conçue comme soin recommandé d’ailleurs en vue d’une meilleure santé, ou soulagement d’une âme tourmentée. Ce qui n’autorise pas à plier la philosophie grecque à la légitimation de problèmes contemporains.
Les impasses de la « bonne volonté culturelle »
Notre enquête montre que la toile théorique et pratique tissée par ce projet de muer l’idée de santé culturelle en action politique est assez complète. Elle échafaude une perspective de formation culturelle individuelle à partir de stimuli et de fréquentations imposées par d’autres, tissant simultanément des considérations conceptuelles plus ou moins étayées, des projets de réforme politique, des exigences éthiques. Elle concocte une sorte de fable de la formation culturelle réduite à des consignes d’éducation ou des directives rassemblées en kit de secours devant un désastre supposé ou envisagé dans le gouvernement moderne des populations.
Elle ne se pose aucunement les questions essentielles : si l’humain est social, dans sa plasticité et son devenir même, comment les facultés culturelles sont-elles produites ? Quelles relations entre les facultés, les pratiques et les objets ? Que produisent les signes tels qu’il les rencontre ? Comment articuler la culture sociétale et la culture individuelle ? Etc., toutes questions qui excluent que l’on n’ait, en matière culturelle, à s’adresser qu’à des individus ou des esprits à activer, absents de configuration sociale, de désirs, de jeux de délibérations et d’actions, à considérer individuellement, et en prenant ce qui est appelé « culture » comme une figure d’avance déterminée.
Que les fractures sociales, culturelles et politiques existent nul ne le réfute. Mais elles ne peuvent se traiter par des opérateurs thérapeutiques dont on ferait croire qu’ils sont « neutres ». Alors que, dans tous les cas, le point central est celui de l’émancipation des individus et des groupes sociaux par rapport aux normes imposées.
Il reste toutefois possible de reconnaître deux choses positives concernant cette proposition de défendre l’idée d’une santé culturelle des citoyennes et des citoyens. La première est celle-ci : il n’y a pas de grâce de l’esprit mais seulement de l’éducation ; et il est effectivement difficile de considérer que la formation culturelle des individus – aux arts, par les arts, aux sciences, par les sciences, etc. – est idéale de nos jours, et que les institutions culturelles produisent systématiquement de réelles formations. Mais il conviendrait de se demander quand et par qui cette santé aurait été détruite, et en quoi ceux qui proposent des thérapies sont les seuls à pouvoir réparer les dégâts constatés. N’importerait-il pas plutôt de poser le problème politiquement et de cerner des approches politiques de la diversité des cultures et des normes culturelles ?
La seconde renvoie aux atermoiements de la bonne volonté culturelle qui sert de support à cette entreprise, une bonne volonté culturelle à l’égard des « autres ». Cette bonne volonté ne cesse d’agir et de se penser en surplomb des modalités des rapports sociaux et donc des individus. Elle ne saurait tenir compte d’interactions et d’échanges. Elle sait d’avance quels sont les objets culturels susceptibles de former les esprits.
Encore convient-il de préciser que cette bonne volonté culturelle n’est pas tout à fait équivalente aux doctrines du care (du soin) qui sont élaborées par certains philosophes. Ses principes sont autres : la prise au sérieux de la fragilité de l’être humain dans le cadre d’une société et la constitution d’une attention réciproque entre les individus, célébrant un « nous » à l’encontre des philosophies du « je » ou du « tu ». L’une des différences majeures entre les deux options réside dans la solution de la question : qu’est-ce qui satisfait dans la notion utilisée (« bonne ou mauvaise » santé culturelle) et qu’est-ce qui est satisfait par elle, posée en allégorie d’une société parfaite qui survivrait aux désastres culturels ?
Bibliographie
Canguilhem Georges, Le Normal et le pathologique, Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique, 1943, Paris, PUF, 2005. Conche Marcel, « Introduction à Épicure », Lettres et maximes, trad. Marcel Conche, Paris, Presses Universitaires de France, 1987. Fassin Didier, « Avant-propos. Les politiques de la médicalisation », in L’ère de la médicalisation, dir. P. Aïach et D. Delanoë, Paris, Anthropos, 1998. Foucault Michel, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Gallimard/Seuil, 2004. Hogarth Richard, La culture du pauvre, Paris, Minuit, 1970. Laugier Sandra : – Qu’est-ce que le care ?, Paris, Payot, 2009. – Face aux désastres : une conversation à quatre voix sur la folie, le care et les grandes détresses collectives, Paris, Ithaque, 2013. Marinopoulos Sophie, « Stratégie nationale pour la Santé Culturelle : Promouvoir et pérenniser l’éveil culturel et artistique de l’enfant de la naissance à trois ans dans le lien à son parent », site du ministère de la Culture, 2017.
Sénèque, De la constance du sage, trad. Émile Bréhier, Paris, Gallimard, 1962. Winnicott Donald Woods, Processus de maturation chez l’enfant : développement affectif et environnement, Éditions Sciences de l’homme, Paris, Payot, 1970.
*Christian Ruby, philosophe, travaille à l’ESAD-TALM, site de Tours. Il est membre de l’ADHC (association pour le développement de l’Histoire culturelle), de l’ATEP (association tunisienne d’esthétique et de poiétique), du collectif Entre-Deux (Nantes, dont la vocation est l’art public) ainsi que de l’Observatoire de la liberté de création. Membre du CA du FRAC Centre Val-de-Loire, il a publié ces dernières années : Abécédaire des arts et de la culture, Toulouse, Éditions L’Attribut, 2015 ; « Criez et qu’on crie ! » Neuf notes sur le cri d’indignation et de dissentiment, Bruxelles, La Lettre volée, 2021 ; Des cris dans les arts plastiques, Bruxelles, La lettre volée, 2022.
La Plateforme relaie cet article lumineux sur des pratiques culturelles en milieu de soin. Une piste pour cultiver les relations entre culture et pratiques de santé, pour explorer les dimensions culturelles des droits fondamentaux. Ainsi, le texte présente l’Écheveau : le service culturel à destination des personnes prises en charge à l’hôpital Saint-Jean-De-Dieu à Leuze, en Wallonie picarde. Ce « quasi-centre culturel » est coordonné par Laurent Bouchain, administrateur de Culture & Démocratie et membre actif du groupe art et santé de l’association. Le reportage a été mené par Clara Van Reeth, journaliste chez Alter Échos. Sa version originale est disponible sur le site de la revue.
Illustration réalisée dans le cadre des ateliers de l’Écheveau.
Inscrire la culture comme dimension à part entière d’un institut psychiatrique. C’est le pari un peu fou que s’est lancé l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu à Leuze, en Wallonie picarde, en créant son propre service culturel à destination des personnes hospitalisées. Ni art-thérapie ni «vitrine culturelle», l’Écheveau s’inscrit dans le réseau des artistes en milieu de soins. Et parvient à faire s’entremêler ateliers artistiques, actions de prévention, suivi hors de l’hôpital… Avec un objectif en ligne de mire : briser les murs de l’hôpital psychiatrique et le tabou de la santé mentale.
L’avenue de Loudun est une nationale comme on en compte des dizaines en Wallonie. Le long de cette bande de bitume rectiligne qui relie la gare de Leuze-en-Hainaut au «vieux Leuze» se dresse, de l’autre côté d’un large portail coulissant, une chapelle au clocher élancé. Elle est le reliquat de l’époque où, en 1905, l’Ordre hospitalier de Saint-Jean-de-Dieu a élu domicile dans cette petite commune située entre Ath et Tournai pour y ouvrir un hôpital psychiatrique. Géré par les frères, des religieux français, l’hôpital avait tout d’un asile de l’époque, probablement assez proche des représentations hollywoodiennes de la folie qui ont abreuvé notre imaginaire collectif. «Si jamais t’es pas sage, c’est là que tu finiras», à «l’asile de fous»: voilà ce qu’on a longtemps dit dans la région pour désigner l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu. Aujourd’hui encore, quand on parle d’aller au «vieux Leuze», les gens du coin savent ce qu’on entend par-là.
De l’époque des frères, il ne reste aujourd’hui plus grand-chose. En 1976, la gestion de l’institut a été reprise par l’Acis, l’Association chrétienne des institutions sociales et de santé. Hormis la chapelle, un seul bâtiment de l’époque a été conservé: l’Écheveau. L’ancienne cafétéria, située à l’entrée de l’hôpital, a été reconvertie en un «bar à médiation culturelle», devenu le quartier-général du service culturel de l’hôpital. L’Écheveau a d’ailleurs donné son nom au projet, qui le porte bien: un entrelacs de dimensions et d’axes de travail au service d’un objectif commun, la culture. Le projet a achevé de métamorphoser l’identité de cet hôpital psychiatrique, désormais à des années lumières de l’«asile de fous» peuplé de patients isolés, médicamentés, immobilisés.
Laurent Bouchain, le coordinateur de l’Écheveau, remonte pour nous le fil de l’histoire. Le metteur en scène et dramaturge de formation, barbe et cheveux blancs coupés courts, raconte comment tout a commencé, dans les années 90, par des ateliers de théâtre, puis d’écriture, puis de vidéo… «C’est comme ça que, progressivement, la culture a commencé à s’inscrire dans l’hôpital. Le temps passant, la direction m’a proposé un emploi à quart-temps pour étudier la faisabilité d’implanter une véritable orientation culturelle au sein de l’hôpital.»
L’énergie de Laurent Bouchain a croisé la volonté du comité de direction de l’époque. Jean-Philippe Verheye, ancien membre du comité de direction et directeur de l’hôpital depuis 2017, se plaît toujours à raconter, à quelques jours de la retraite, comment la culture «a pris de plus en plus de place au sein de l’institution», au point que «si on laissait faire Laurent, on ne serait plus un hôpital psychiatrique mais un centre culturel», lâche-t-il sur le ton de la blague.
Illustration réalisée dans le cadre des ateliers à l’Écheveau
Une «bulle» où l’on fait autre chose
Comme un centre culturel d’ailleurs, l’Écheveau propose des ateliers artistiques aux patients des cinq unités de l’hôpital. Ce mercredi matin, ils sont trois participants à l’atelier de dessin animé par Tom. Qu’à cela ne tienne: l’illustrateur et graveur, une petite trentaine d’années, rassemble sur la table une quinzaine de feutres noirs et un tas de feuilles blanches. Le thème d’aujourd’hui: le portrait. Dans un calme monacal, Léon, Clara et Laura[1] s’appliquent, le dos voûté et les yeux rivés sur leur dessin. Les consignes de Tom se succèdent. Il faut dessiner la personne en face de soi sans jamais lever le feutre de sa feuille. Puis la dessiner sans la quitter des yeux. Ou encore en tenant le feutre à pleine main, comme le ferait un enfant. Chaque consigne provoque son lot de «Oooh» et de «Pfff» chez les trois participants, un sourire en coin, comme pour dire «Je n’y arriverai jamais!»
Pourtant, chacun joue le jeu. Les portraits se multiplient et recouvrent bientôt la table. Certains sont drôles, d’autres carrément beaux. Tom observe chaque trait, débusque les «tics», émet des conseils pour aborder chaque dessin différemment. Il encourage Clara, qui dessine toujours de petits visages au centre de la feuille, à oser prendre plus de place. A Laura, qui commence systématiquement ses portraits par un rond, il conseille de mieux observer: «Les gens n’ont pas tous la tête ronde, ni tous le même rond».
Silencieuse, un léger sourire aux lèvres, Clara se laisse visiblement gagner par le lâcher-prise que requiert l’exercice. Hospitalisée dans l’unité de la Joncquerelle, dédiée aux comportements dépendants, elle se dit «apaisée» par le dessin et espère «avoir la possibilité de continuer quand [elle sera] dehors.» Au fil des traits qui noircissent les feuilles, les participants se livrent. Léon surtout a la parlotte. Orthopédiste de profession, il raconte sa passion pour la réparation de bateaux, son rêve de jeunesse de devenir skipper. Avant d’évoquer ses problèmes de boisson, ses tentatives de suicide et cet épisode de crise lors duquel sa mère a fini par l’amener ici. «L’hôpital n’a pas voulu m’hospitaliser car j’étais en crise, c’était une urgence (l’admission à l’hôpital se fait sur base volontaire, NDLR). Mais plus tard, j’ai décidé de revenir et de me faire hospitaliser.»
Face au besoin manifeste de partage de Léon, l’animateur fait montre de réserve. Quand le premier se confie et cherche un échange de regards, le second se penche plutôt sur son dessin. Tom confiera plus tard éviter d’aborder les problèmes personnels durant ses ateliers. «Ils sont déjà dans le « psy » en permanence. Ici, c’est une bulle où l’on fait autre chose, où l’on pense à autre chose. Et puis, parfois, certaines histoires peuvent plomber l’ambiance pour les autres participants.»
[1] Les prénoms des personnes hospitalisées ont été modifiés
Illustration réalisée dans le cadre des ateliers à l’Écheveau
Casser les barrières
L’atelier terminé, chaque participant rejoint son unité. A l’époque des religieux et jusqu’à récemment, l’organisation spatiale de l’hôpital était fortement centralisée. Aujourd’hui, les différentes «ailes» de l’institution sont disséminées et reliées entre elles par de larges parcelles de pelouse. Quand il ne pleut pas comme aujourd’hui, les patients passent le temps en s’y promenant.
Légèrement en retrait se trouve un jardin paysager, où sont parfois organisées des activités culturelles – comme ce trio à cordes venu se produire en concert, quelques semaines plus tôt. Plus loin, enclavé entre deux bâtiments, un lopin de terre accueille du «land art». Autant de preuves, pour Laurent Bouchain, du caractère «transversal» de la culture en général et de son projet en particulier.
Le coordinateur de l’Écheveau poursuit son tour du propriétaire, un trousseau de clés digne de Passe-Partout à la main. Ici, l’atelier d’Isabelle, l’animatrice qui travaille sur le «bas seuil culturel» et dans lequel cohabitent des chats en frigolite recouverts de peinture, des plaques recouvertes de mosaïques et autres collages. Là, l’atelier alpha où des participants se familiarisent avec les bases de la langue française.
Dans les couloirs, des tableaux de patients parsèment les murs et égaient du mieux qu’ils le peuvent les lieux un brin décatis. Derrière une porte couleur vert pomme, la bibliothèque. Si celle-ci a toujours existé, elle n’abritait jusqu’il y a peu qu’un catalogue restreint et radicalement « genré »: la collection « Nous Deux » de livres à l’eau de rose et des livres sur la guerre. «On a décidé qu’il nous fallait une vraie bibliothèque, où toutes les sections soient représentées, explique Laurent Bouchain. Évidemment ça représente des financements. Ça a été un choix politique de la direction de mettre de l’argent là-dedans»
Plus globalement, face au choix de l’hôpital d’investir financièrement dans la culture, la pilule a parfois été difficile à avaler, du côté des soignants notamment. «Au départ, les unités de soin nous sont beaucoup questionnés en disant: « C’est de l’argent qui pourrait nous revenir pour soigner les patients ». Mais aujourd’hui, ce n’est plus un problème. La culture a toute sa place dans l’hôpital», assure Jean-Philippe Verheye.
Illustration réalisée dans le cadre des ateliers de l’Écheveau.
Effets bénéfiques : de « l’hypothèse » à la « réalité ancrée »
Au rez-de-chaussée d’un énième bâtiment, Laurent ouvre soudain la porte sur une grande salle lumineuse, entièrement vide à l’exception d’une scène surélevée, coiffée d’une rampe de projecteurs et d’enceintes. Bref, de quoi accueillir des spectacles… Comme un vrai centre culturel. C’est ici, notamment, que se joue une autre dimension importante du projet, ce que le coordinateur de l’Écheveau nomme l’axe « préventif »: «En santé mentale, une grosse problématique concerne la difficulté qu’ont beaucoup de personnes à nommer leur mal-être ou maladie. Et la société est toujours bercée de représentations très stigmatisantes sur l’hôpital psychiatrique. Notre pari est de se dire que si on fait venir un public extérieur au sein de l’hôpital – pour participer à un évènement festif, toujours à vocation culturelle – cela pourrait réduire les peurs et les préjugés, et favoriser le fait que les gens osent venir ici si, un jour, ils ont vraiment un problème.»
Régulièrement, l’Écheveau invite donc des opérateurs culturels à s’approprier l’espace hospitalier le temps d’une pièce de théâtre, d’un concert ou d’une exposition. Résultat de cette dynamique visant à «casser les barrières»: «Dans la ville de Leuze, l’hôpital est beaucoup plus connu maintenant, du fait de cette intégration culturelle, appuie le directeur. Cela offre aux habitants une autre vue que celle de l’hôpital psychiatrique de type asilaire. Ça déstigmatise les problèmes de santé mentale, et c’est très positif.»
Mais à quel point passer la porte d’un hôpital psychiatrique reste-t-il une étape difficile à franchir ? Pour Clara, la participante à l’atelier de dessin du matin, «c’était un grand pas, une punition même». Pour Laura, «une honte» carrément. Mais toutes deux ont déjà revu leur jugement sur l’hôpital, notamment grâce aux activités culturelles proposées. «Elles m’ont appris à mieux me connaitre», confie la première. «Moi, à être plus sociable», ajoute la seconde. L’Écheveau se revendique pourtant comme un «endroit non-thérapeutique». A plusieurs reprises, Laurent Bouchain insiste: «Nous ne nous inscrivons absolument pas dans la mouvance de l’art-thérapie. Nous sommes des « artistes en milieu de soin »: il n’y a pas d’axe thérapeutique dans notre travail. Les ateliers que les artistes donnent ici sont exactement les mêmes que ceux qu’ils donnent pour le tout public, hors de l’hôpital. Certes, ce public est différent, mais tous les publics le sont à leur manière.»
Il n’empêche, si le projet s’est maintenu et a pris tant d’ampleur au fil des ans, il doit bien y avoir des effets bénéfiques – thérapeutiques – pour les personnes en souffrance mentale ? Au départ de l’ordre de l’«hypothèse», de la «croyance», ces bienfaits sont rapidement devenus des «réalités ancrées, soudées, démontrées», confirme Laurent Bouchain. «Nos patients ont besoin d’être ramenés du côté de la vie, ajoute Jean-Philippe Verheye. Et les artistes incarnent cette vitalité. La culture est une ouverture majeure, accessible et non discriminante pour les personnes qui ont un problème de santé mentale.»
Bien sûr, tout le monde n’y trouve pas chaussure à son pied. Sur une capacité totale de 133 lits, un tiers environ des patients participe aux activités de l’Écheveau. «Mais même si ce n’est qu’une minorité qui accroche à la culture, ça reste important. Car bien souvent, ce lien continue après leur hospitalisation», conclut le directeur.
Illustration réalisée dans le cadre des ateliers à l’Écheveau
Brouhaha et café chaud
Il est midi. Christine avale son sandwich dans la cuisine de l’Écheveau, tout en passant en revue les livres qu’elle a soigneusement sélectionnés pour son atelier. L’animatrice, fonctionnaire à la province du Hainaut, anime ponctuellement des ateliers à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu depuis sept ans. Aujourd’hui, elle se rend dans une unité de l’hôpital peu visible et dont les portes nous resteront d’ailleurs fermées: le Mesnil. Une unité pour personnes avec double diagnostic – un handicap couplé à un trouble de la santé mentale.
Si Laurent Bouchain met volontiers l’accent sur le fait que les «personnes en burn-out, en dépression, avec une bipolarité, une psychose ou des problématiques neurologiques n’impliquent aucune différence dans l’approche artistique proposée, par rapport à des personnes en dehors de l’hôpital», au Mesnil, c’est une autre histoire. Pour son atelier de lecture, Christine a dû jongler avec «plusieurs contraintes»: «La taille des livres (des A3, pour qu’ils voient tous les images), le choix de livres, qui ne soient pas trop effrayants… Il faut bien se dire que ce sont des adultes qui ont un âge mental entre trois et six ans. Certaines savent lire, d’autres pas. Certains marchent, d’autres pas. Certains sont violents, d’autres pas.» Au Mesnil, le mobilier est scellé aux murs car s’ils ont six ans d’âge mental, les patients ont aussi la force physique d’adultes. Alors pour Christine, aujourd’hui, la culture se résumera à «créer du lien». «Je m’accroupis en face d’eux, je les regarde dans les yeux. Mon but, c’est de leur apporter un peu de joie, du bien-être. En dehors de ce que leur propose l’Écheveau, ces gens sont oubliés, invisibles, parce qu’ils font peur.»
Alors que l’animatrice ramasse les dernières miettes de son sandwich et rassemble ses affaires, Tom, l’animateur de dessin, se prépare à rejoindre le bar de l’Écheveau, dont il assure la permanence cet après-midi. Une tâche que les sept employés du service culturel se partagent en alternance. Direction donc l’ancienne cafétéria de l’hôpital – désormais baptisée «bar à médiation culturelle» ou «bar social». A 13 heures tapantes, heure d’ouverture, une douzaine de patients attendent déjà devant la porte. Tom allume le poste de radio, la file s’engouffre à l’intérieur, chacun enlève son manteau; et la salle, d’apparence plutôt anodine, s’emplit soudain d’un brouhaha qui lui donne des allures de troquet du coin – l’alcool en moins. Les allers-retours au comptoir se multiplient, la machine à café carbure. Sur le comptoir du bar, l’agenda de l’Écheveau est là pour inciter tout un chacun à jeter un œil aux activités culturelles du mois. Juste à côté, le listing pour s’y inscrire.
A certaines tables, les conversations vont bon train. A d’autres, quelques personnes partagent simplement un bout de silence. Un homme à la large carrure est avachi sur sa chaise, paraissant presque endormi. «Les médicaments qu’ils prennent ici créent de gros états de fatigue et notamment des problèmes de mémoire, glisse Tom entre deux cappuccinos. Les gens s’inscrivent aux ateliers, puis ils oublient.» Les trois participants de l’atelier de ce matin auraient d’ailleurs dû être huit, à en croire le registre d’inscription.
La somnolence et les trous de mémoire, Willy les a bien connus. Hospitalisé après 14 ans de lutte contre l’alcoolisme, il se souvient encore des effets de son sevrage au valium les dix premiers jours de son internement, de cet état de coton permanent. «Après mon arrivée ici, je m’étais complètement replié sur moi-même. Un jour, l’assistante sociale du service m’a mis en contact avec Laurent, qui m’a donné la chance de me réintégrer dans une vie normale, confie le sexagénaire, le visage marqué, attablé à l’écart de l’agitation. Avec l’Écheveau, j’ai appris à changer mes habitudes, à remplir mes journées autrement. Avant je ne faisais que boire, alors forcément mes journées étaient « bien » remplies. J’ai dû prendre de nouveaux repères, me prouver à moi-même que j’étais capable de faire autre chose.»
S’il n’avait aucune affinité particulière avec la culture avant son hospitalisation – «chef d’équipe dans une usine pétrochimique, mon boulot c’était ma vie» – Willy continue aujourd’hui à fréquenter des expositions et à s’adonner à la lecture. Surtout, depuis qu’il a quitté l’hôpital il y a un an et demi, il officie désormais en tant que bénévole à la bibliothèque de l’hôpital. «Pour aider les gens, avec un mot ou avec un livre. Et pour rester en contact avec le personnel.»
Illustration réalisée dans le cadre des ateliers à l’Écheveau
Des petits pas
Accompagner les gens après leur sortie de l’hôpital pour leur permettre de continuer leur «chemin culturel», c’est encore un autre « fil » du projet de l’Écheveau. Car Laurent Bouchain a une autre casquette: il est aussi référent culturel pour la région du Hainaut au sein du projet 107 (la réforme belge des soins de santé mentale qui mise sur le développement de l’offre communautaire, en s’appuyant notamment sur des équipes mobiles qui assurent le traitement de problèmes psychiatriques au domicile de la personne). A ce titre, il mène régulièrement des «accompagnements culturels» à l’extérieur, pour permettre à d’anciens patients «de maintenir un lien avec la culture et de se maintenir hors de l’hôpital».
Un lundi de décembre, à 9 heures du matin: alors qu’une première neige s’accroche fragilement aux trottoirs et aux capots des voitures, Laurent franchit le seuil de la maison de Florence, dans la région de Mons. Enveloppée dans un large châle mauve, cette dame aux cheveux courts et au large sourire l’accueille sans chichis. Laurent et Florence se connaissent bien, depuis le temps. Leur première rencontre remonte à 2015. Alors qu’elle lutte contre plusieurs addictions, «un mode de vie basé sur la défonce» selon ses propres mots, Florence est suivie par un psychiatre de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu. Un jour, elle lui fait part de ses pensées suicidaires et réclame, en désespoir de cause, d’être internée. Bien inspiré, le psychiatre refuse, arguant des progrès réalisés par Florence et des risques que ferait peser une hospitalisation sur son indépendance; il lui propose plutôt un suivi à domicile dans le cadre du projet 107.
«Au début, deux femmes venaient chez moi: une assistante sociale et une aide-soignante. En découvrant que j’avais un parcours artistique et une fibre créative, elles ont proposé de me mettre en lien avec Laurent.» Depuis, une relation sincère s’est nouée entre eux deux, faite de sorties culturelles, de discussions autour des intérêts artistiques de Florence et d’un travail de fond sur la motivation. «Laurent, c’est une lanterne», résume Florence. Et son visage s’illumine.
La quinquagénaire s’exprime pleine de joie, de vitalité. Mais au fil de ses phrases parfois décousues, inachevées, on devine aussi les démons avec lesquels elle lutte. Un torrent d’envies créatrices qui ne se concrétisent pas toujours et abiment l’estime de soi. «On a appris à faire des petits pas, explique Laurent assis à côté de Florence, qui opine du chef. Elle avait tendance à se fixer des objectifs trop ambitieux, puis était paralysée et ne faisait rien. Les petits pas ont permis d’éviter cet effet castrateur.»
Leur entretien mensuel prend plutôt la forme d’un échange informel. Aujourd’hui, Laurent lui demande où en sont ses projets d’écriture. Il la questionne sur ce dont elle manque, en ce moment, d’un point de vue créatif. Lui suggère des noms de personnes ressources, de lieux à contacter. «Les équipes mobiles s’inscrivent dans une temporalité de trois mois. Mais dans ma fonction de référent culturel, je peux continuer à voir les personnes pendant plusieurs années. Ici, avec Florence, ça fait sept ans.» Et en 2023, leur relation se poursuivra. En fin d’entretien, Laurent et Florence fixent leur prochain rendez-vous de janvier. Puis, dans le jour qui se lève et sous une fine pluie de flocons, Laurent Bouchain repart, la « lanterne de la culture » toujours à la main.
Une contribution personnelle1 de Roland de Bodt – écrivain, chercheur et membre de Culture & Démocratie – qui revient sur le caractère révolutionnaire des droits humains en termes de liberté et d’égalité2. Il problématise la mise en œuvre de ces libertés fondamentales à partir des formes actuelles totalisantes, voire totalitaires, qu’en donne le système industriel mondial. Sur cette base, Roland de Bodt en appelle à se ressaisir des théories du libéralisme pour transformer les imaginaires. Il propose les termes « libertés culturelles » plus radicaux que ceux de « droits culturels » pour insister sur les principes éthiques plus essentiels à ses yeux que les moyens juridiques d’y parvenir.
Une trace de la recherche participative, ici, avec le centre culturel d’Anderlecht Escale du Nord, le CIFAS et l’Âge de la Tortue.
Au point du jour, lorsque l’astre offre ses lumières à nos nuits obscures de passions, de méditations et d’ébats, ne trouverions-nous quelqu’avantage à tirer les conséquences de nos actes ? Si d’aventure cette hypothèse était retenue, je formule ici quelques propositions.
De la révolution des libertés
1. Déclarer que les êtres humains, du seul fait de la naissance, sont libres et égaux – est un acte révolutionnairei qui résiste à toute forme de domination et de violence industrielles, économiques, technoscientifiques, théocratiques, militaires, policière, politiques.
2. Postuler que cette liberté est égale, réciproque et responsable ; responsable : parce qu’il y aurait lieu de répondre de son usage devant la communauté des êtres humains ; réciproque : parce qu’il y aurait lieu de reconnaitre à autrui la liberté à laquelle on prétend pour soi-même ; égale : parce qu’elle ne saurait être regardée comme « absolue » sans se mettre au service de la tyrannie et, par-là, dénaturer son essence, ronger ses attributs et ruiner ses vertus – est également un acte révolutionnaire qui résiste à toute forme d’absolutisme industriel, économique, technoscientifique, théocratique, militaire, policier, politique.
3. Reconnaitre aux êtres humains, du fait de la singulière diversité de leurs natures, de leurs choix, de leurs appartenances, de leurs engagements et de leurs formations, une libre et égale dignité – est encore un acte révolutionnaire qui reconnait chacune et chacun comme acteur·ice culturel.le, à part entière, doué.e de conscience, de raison et de solidarité ; octroie, à chacune et chacun, la souveraineté dans les décisions qui concerne sa vie.
4. Prétendre que chaque être humain a droit à la protection de la loi, des services publics et de la communauté humaine pour sauvegarder l’intégrité physique et culturelle de sa personne, sa vie privée, sa correspondance – est un acte révolutionnaire qui condamne toute immixtion et toute velléité de contrôles industriels, économiques, technoscientifiques, théocratiques, militaires, policiers, politiques qui portent atteinte à la souveraineté de la personne humaine, dans les décisions qui concerne sa vie.
5. Accepter que chacune et chacun vive selon ses libres idées et ses libres convictions, jouisse de la libre et légitime faculté de changer d’idées, de convictions et aussi de pays, de conjoint.e, de nationalité, d’association, d’études, d’établissement d’enseignement, de travail, de profession, etc. – est un acte révolutionnaire qui réfute toute forme de régime dogmatique qu’il soit industriel, économique, technoscientifique, théocratique, militaire ou/et politique.
6. Depuis le 10 décembre 1948, les populations de la planète sont soumises à des régimes industriels, économiques, technoscientifiques, théocratiques, militaires et politiques d’une violence de plus en plus illimitée et qui ne cessent de détruire les libertés et les droits de personnes et des communautés ; face à cette évolution historique, à ce nouvel ordre industriel mondial, la préoccupation, la promotion et la défense des libertés fondamentales et des droits des êtres humains sont – en puissance et en acte – de plus en plus révolutionnaires.
De la foi en l’être humain
7. Le seul argument qui fonde un régime de libertés fondamentales et de droits humains universels est celui de la « foi en l’être humain » – voir le préambule de la Déclaration universelle des droits humains de 1948.
8. Les philosophies de l’existence qui fondent les philosophies politiques modernes et reposent sur le paradigme culturel d’un monde idéal et inaccessible, d’un âge d’or antique dont on s’éloigne à chaque génération, d’un paradis perdu, de la destinée humaine irréversible de l’humanité comme chute, corruption et décadence, l’apologie de la « fin du monde » ou la conviction morale – et si largement partagée – que l’être humain est « mauvais par nature », la croyance en un ordre « transhumaniste » susceptible d’extraire le mal et palier les faiblesses des êtres humains par les technosciences, la philosophie des élites et le mépris des populations qui lui est consubstantiel, toutes ces représentations du monde me paraissent, par essence, incompatibles avec l’esprit de solidarité et l’esprit d’espérance sur lesquels repose le paradigme culturel des libertés fondamentales et des droits universels de l’être humain.
9. La question principielle ne me parait donc pas d’évaluer si les sociétés-monde actuelles entendent reconnaitre et proclamer les libertés fondamentales et les droits inaliénables des êtres humains (dans de nombreux cas, elles le font) mais de savoir si elles sont fondées sur un paradigme culturel de la « foi en l’être humain» ou, autrement traduit, de la « fidélité au genre humain » ; ce qui se mesure à l’efficace de ces sociétés-monde dans la mise en œuvre et le respect de ces libertés fondamentales et de ces droits.
10. Les sociétés-monde qui proclament des libertés fondamentales et des droits humains sans mettre en œuvre les conditions qui permettent la réalisation pratique et le respect effectif de ces libertés et de ces droits, m’apparaissent comme des sociétés qui n’ont très probablement pas la foi en l’être humain et dont l’agir – évaluable – n’est pas défini par la fidélité au genre humain mais par d’autres critères industriels, économiques, technoscientifiques, théocratiques, militaires et/ou politiques.
11. Les questions subsidiaires qui émergent alors sont très multiples et requièrent un considérable travail social et culturel notamment pour chercher à déterminer ce que ces sociétés-monde (mais aussi ces états, ces régions, ces villes et communes, ces quartiers) devraient mener comme actions à grande échelle et de manière locale pour que cette « foi en l’être humain », cette « fidélité au genre humain », soit plus largement partagée par les communautés humaines, puisqu’elle apparait comme une sorte de condition « sine qua non » du développement, de la réalisation et du respect des libertés fondamentales et des droits humains.
12. Par conséquent, de mon point de vue : Travailler au développement du paradigme culturel des libertés fondamentales (y compris les libertés culturelles) et des droits humains (y compris les droits culturels) impliquent de travailler au développement d’une culture de la « Foi en l’être humain », de la « Fidélité au genre humain ». Comment fait-on cela dans le monde présent ?
13. Considérant l’évolution de l’ère nucléaire, depuis le 6 août 1945, il me semble que le développement de ces perspectives humanistes s’oriente dans des sens différents, voire éventuellement opposés à l’ordre industriel mondial, à son économie capitaliste, aux technosciences qu’il a assujetties, aux théocraties, aux ordres militaires, aux conduites policières et politiques actuelles.
Du libéralisme
14. Depuis le 6 aout 1945, c’est-à-dire depuis le début de l’ère nucléaire, les dirigeant.e.s du système industriel mondial se présentent sous le masque du libéralisme ; ils ornent leurs manteaux des paillettes du libéralisme, de leur scintillement. Considéré de leur point de vue, cela leur confère une légitimité philosophique et les relie – de manière pas trop contraignante aux principes des libertés et aux droits fondamentaux, voire-même à la théorie de la démocratie. C’est de bonne guerre ! Et la guerre, ils connaissent. C’est leur métier. La condition de leur développement. Leur métier premier. Mais cela ne nous oblige, en aucune manière ni à y croire ni à en convenir.
15. Ils financent aussi des centres de recherche en économie, en gestion et en stratégie industrielles, auprès des plus grandes universités de la planète, afin d’élaborer l’argumentation qui permette l’actualisation des théories du libéralisme, aux besoins de leur développement industriel moderne et de leurs dominations des populations, réduites au « marché ». C’est un travail très sérieux, un investissement prioritaire et magistral. Il est central et non marginal. Les enjeux de ces actualisations successives de la notion de libéralisme sont vitaux pour le développement industriel. Il s’agit de créer des concepts crédibles, légitimant et rassurant, tant auprès des actionnaires que des administrations publiques et des gouvernements. C’est un travail méticuleux de perversion du langage, de publicité, de fake-news acceptables, pour arriver à créer une image positive et établir une bonne conscience industrielle, tout en autorisant des concentrations de pouvoir et des violences économiques, non seulement sur les populations mais également sur les gouvernements et les services publics, de plus en plus absolues.
16. De manière transnationale, ces centres de recherche universitaires ont créé le concept de « néo-libéralisme », à partir des années 1990, pour scinder l’évolution du concept de libéralisme industriel de ses sources originelles, c’est-à-dire du libéralisme politique et juridique, hérité de l’humanisme des Lumières. Ainsi, le néolibéralisme permet d’autonomiser la pensée du libéralisme industriel, de la gangue des libertés fondamentales et des droits humains. C’est aussi une révolution ! Le « néo-libéralisme » permet de métamorphoser le principe d’égale liberté en principe de liberté absolue.
17. Aujourd’hui de très nombreux intellectuel.le.s, chercheur·euses en sciences politiques, commentateur·ices, syndicalistes, animateur·trices culturel·les ou sociales·ux, acteur·ices du monde politique de la gauche dite « progressiste » ont validé ces conceptions, produites à la demande et au bénéfices du système industriel mondial. Ils ou elles leur donnent crédit. Ils ou elles les emploient comme des outils qu’ils mettraient à leur disposition. Ils ou elles décrivent l’état du monde tel qu’il est observable, aujourd’hui (inégalités sociales, destruction de la planète, surconsommation, etc.) comme s’il était le produit et le résultat du libéralisme, incarné par le système industriel mondial. Certains commentateurs utiliseront même les notions de « libéralisme inégalitaire » ou de « libéralisme totalitaire » comme si la notion de libéralisme n’était plus du tout adossée à la notion de libertés ou de droits.
18. Il résulte de cette adhésion, très majoritairement admise, que le système industriel mondial a confisqué, depuis 1990, la pensée relative au libéralisme et que la gauche, les mouvements culturels et sociaux, progressistes, se sont démobilisés de la pensée et de l’actualisation des théories du libéralisme, aujourd’hui. Et non seulement, ils ou elles ont renoncé à investir la pensée du libéralisme dans le sens de l’égale liberté mais, plus encore, aveuglés par les définitions du libéralisme qui ont été produites au bénéfice du système industriel mondial, ils ou elles sont devenu.e.s radicalement « anti-libéral » : parce que le libéralisme c’est le mal sur terre !
19. Je ne partage pas ces opinions parce que je suis amené à penser que la question essentielle, aujourd’hui, pour le système industriel mondial, c’est précisément la liquidation de toute forme de libéralisme politique et juridique. à terme, ce sera probablement aussi la liquidation de toute forme de libéralisme économique. Marcuse avait très bien analysé la situation dans le milieu des années trente ; mais le parallélisme s’arrête là parce que les industries nazies n’avaient pas la même puissance de domination qu’aujourd’hui.
20. J’estime que la situation vécue par les populations de la planète, soumises au système industriel mondial actuel, ne relève pas du tout d’un quelconque « libéralisme » (qui joue la fonction d’un habillage, d’un leurre, pour abuser les braves gens) mais caractérise plus certainement un absolutisme industriel. Et nous pouvons observer presque chaque jour, que cet absolutisme industriel mondial a des prétentions et des pratiques de plus en plus totalisantes (contrôler toutes les dimensions de la vie de tous les êtres humains), voire même totalitaires (se substituer à la souveraineté de chacune et de chacun dans les décisions qui le ou la concerne). Il n’y a pas de totalitarisme libéral parce que le totalitarisme industriel est exactement le contraire du libéralisme.
21. En outre, je voudrais attirer l’attention sur les faits suivants :
d’une part et de mon point de vue, il n’appartient certainement pas au système industriel mondial de définir unilatéralement ce que c’est que le libéralisme ; cette liberté de qualifier les régimes appartient à toutes et à tous ; il n’est pas du tout acceptable que le système industriel mondial finance un travail permanent universitaire et des campagnes médiatiques quotidiennes afin de corrompre et de pervertir une philosophie libérale qui doit rester le lieu de nos réflexions et de nos conceptions de l’égale liberté, de l’égale dignité, qui est notre héritage, à nous les habitant·es de cette planète ;
d’autre part et toujours de mon point de vue, il n’appartient pas à la gauche sociale de renoncer à investir la pensée en matière de théorie du libéralisme juridique, politique, social et économique ; c’est inacceptable et il faut débattre ensemble pour voir comment reprendre la main relativement à cet objet de nos réflexions.
22. Ainsi et sur la base de ces remarques sommaires, il m’apparait assez clairement, à l’esprit, que pour travailler au développement d’un paradigme culturel des libertés fondamentales et des droits humains universels, c’est-à-dire et y compris en matière de libertés culturelles et de droits culturels ; il nous appartient préalablement de reprendre la main sur les théories du libéralisme3. Ce qui suppose une transformation magistrale des imaginaires qui, à gauche, considèrent le libéralisme conformément à ce qu’en prétend et en abuse le système industriel mondial.
Des droits culturels
23. Je réitère mon analyse : je pense qu’en prenant pour titre l’expression « droits culturels » plutôt que l’expression « libertés culturelles », la Déclaration de Fribourg a mis la charrue avant les bœufs ! Je ne suis pas juriste. Dans ma petite pensée personnelle, l’essentiel de ce qu’il faut pouvoir mettre en œuvre, réaliser et respecter, en cette matière, ce sont bien nos libertés culturelles. Le droit est – à mes yeux et dans mon esprit simpliste – le moyen d’exercer et de garantir l’usage de ces libertés. Donc en appelant la Déclaration de Fribourg, « Déclaration sur les droits culturels », j’ai l’intime conviction que les rédacteurs ont mis en lumière le moyen plutôt que les principes éthiques et juridiques les plus fondamentaux et les plus essentiels.
24. Je plaide donc pour que le titre de la Déclaration soit modifié en : « Déclaration de Fribourg pour les libertés culturelles » ! Il sera probablement utile de relire minutieusement le texte de la déclaration pour l’actualiser à ce nouveau titre mais je ne crois pas que cela va entrainer de grands chambardements. Simplement, la Déclaration va se retrouver sur ses bases les plus essentielles pour rayonner dans le monde. Il faudra peut-être préciser qu’il s’agit de la voie culturelle vers une égale liberté qui doit permettre à chacune et à chacun de se réaliser sur la voie d’une culture de la libre et égale dignité.
1. La présente contribution personnelle est rédigée dans le cadre du chantier des « dramaturgie du XXIème siècle » de l’association ARSENIC 2, en collaboration avec Claude Fafchamps.
2. L’expression « révolution des droits de l’homme » est mobilisée par Marcel GAUCHET dans l’ouvrage éponyme, La révolution des droits de l’homme paru chez Gallimard en 1989. Le texte reconstitue le moment de gestation des dix-sept articles de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen arrêtés par l’Assemblée nationale constituante en France le 26 aout 1789. Cette reconstitution permet de souligner à la fois caractère révolutionnaire de reconstruction d’une société sur base de la liberté et de l’égalité, ainsi que tous les conflits et contradictions qui seront inséparables dans les suites du texte.
3. Par exemple, je trouve le concept de « commun » développé par Pierre Dardot et Christian Laval – dans leur titre éponyme Commun : essai de révolution au XXIe siècle, paru chez La Découverte en 2014 – mériterait une approche contradictoire, dans le cadre de ce réinvestissement porté à la théorie du libéralisme.
Cet évènement a été l’occasion de rassembler chercheur·ses, travailleur·ses sociaux·les et culturel·łes, militant·es et activistes en nombre pour échanger autour des droits humains, en particulier sur les droits sociaux, économiques et culturels. Une journée bien riche en réflexion et partage dont nous relayons ici les vidéos des différents moments disponibles sur le site d’Amnesty. Tout d’abord, le moment consacré aux enjeux actuels des droits culturels; ensuite ceux abordant la complémentarité, la justiciabilité et les politiques des droits sociaux, économiques et culturels; enfin, ceux qui questionnent les régimes fiscaux, la responsabilité des entreprises et les politiques néolibérales au regard des droits humains.
A partir de la Déclaration de Fribourg et des droits culturels, il a ainsi été question de pouvoir d’agir en termes de droits et de ressources et ce, par le prisme du droit à l’éducation et à la formation pour permettre la connaissance et la reconnaissance de l’individu, des collectifs et de leurs savoirs. En ce sens, a été explicitée l’enjeu d’une définition plus large de la culture au-delà des arts et du patrimoine, dans l’optique d’un accès et d’une participation à la vie culturelle, tant pour un individu que pour un groupe, seul ou en commun. Les droits culturels désignent donc les droits, libertés et responsabilités pour une personne, seule ou en commun, de choisir et d’exprimer son identité et de participer aux références culturelles, comme autant de ressources qui sont nécessaire tout au long de sa vie à son processus d’identification, de communication et de création. Au passage, cela indique la centralité des droits culturels pour aborder les autres droits humains, pensons aux droits à la santé à comprendre depuis les enjeux propre à la diversité.
Dans le contexte de la recherche participative menée par la Plateforme, une pluralité d’enjeux ont été exposés:
A travers l’histoire des politiques culturelles en Fédération Wallonie-Bruxelles, il est évidemment question d’enjeux politiques sur ce qui fait matière culturelle et d’enjeux financement par le biais de la subsidiation.
Dans le secteur des centres culturels avec le décret du 21 novembre 2013, se pose des enjeux propres aux référentiels à partir desquels les travailleur·ses des centres culturels doivent développer des projets d’action culturelle mais aussi évaluer ces actions. Au passage, le décret rend possible d’autres modes de gouvernance avec la participation tant des pouvoirs politiques locaux que des citoyen·nes dans les projets menés, ainsi que d’autres possibilités d’organisation du travail pour les équipes.
Dans le cadre de la recherche à proprement parler, l’enjeu majeur tient à l’observation et l’évaluation de l’effectivité des droits culturels et ce, tant par le prisme des populations qui exercent ces droits qu’à travers les projets que les centres culturels mènent avec celles-ci. Sur cette base, se dégage des enjeux repris dans les dernières publications qui sont propres au langage et à la traduction des référentiels notamment, des enjeux propres au temps et au plaisir nécessaires pour œuvrer à l’effectivité des droits culturels, des enjeux en termes de responsabilité des secteurs et des politiques culturelles, ainsi que de plaidoyer en faveur des droits culturels comme l’atteste la boussole des droits culturels dans le rapport Un futur pour la culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Voici la vidéo qui reprend et prolonge les échanges (cliquez sur l’image):
Complémentarité, Justiciabilité et Politiques des droits Sociaux, économiques et culturels
L’exposé part ainsi de ces différentes catégories de droits qui, bien que distingués en droits-libertés, droits-créances et droits-solidarité ou en différentes générations, restent perméables les uns aux autres. En atteste la conférence de Vienne de 1993 qui stipule que tous les droits humains sont universels, interdépendants et indissociables, traités de façon équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité, en accordant la même importante. Des distinctions tiennent à des différences de mise en œuvre entre ces droits, quoique des liens intimes tiennent ces droits ensemble. Un exemple: pensons à ce que les droits civils et politiques ne s’effectuent pas dans un vide mais bien dans des contextes et milieux sociaux, économiques et culturels.
Voici la vidéo qui poursuit les échanges sur cette base (cliquez sur l’image):
Avec Diane Roman, professeure de droit public et juriste, Laurent Fastrez, juriste à l’Institut fédéral des droits humains, et Laurent Deutsch, responsable activisme et éducation aux droits humains chez Amnesty International Belgique francophone, un temps a permis d’aborder la question de la « justiciabilité » des droits économiques, sociaux et culturels. Pendant longtemps, ces droits sont restés programmatiques mais l’on assiste aujourd’hui à des reconnaissances progressives de ces droits dans les cours et tribunaux en vue de garantir les conditions effectives pour assurer ces droits. S’est notamment posé toute la problématique du non-recours à ces droits et les possibilités d’en jouir ou non.
Voici la vidéo qui reprend les échanges (cliquez sur l’image):
Voici la vidéo qui reprend les échanges (cliquez sur l’image):
Deux documentaires ont permis d’exposer et d’aborder des questions propres aux droits humains, en partant notamment de situations liées aux droits du travail pour venir aux autres droits fondamentaux.
The Workers Cup d’Adam Sobel (2018) :
La vie d’une petite culotte de Stéfanne Prijot (2019):
Au niveau international, les 7, 8 et 9 décembre derniers, a eu lieu à Bruxelles le dernier module de la formation-action Paideia du Réseau Culture 21, organisée sur place par la Plateforme d’observation des droits culturels et l’Astrac. La thématique de ce module portait sur le plaidoyer en faveur des droits culturels.
Les participant·es franco-belges ont pu échanger sur l’avancée de leur démarche locale respective ici en Fédération Wallonie-Bruxelles avec la Plateforme d’observation des droits culturels et l’Astrac, ainsi qu’à Rouen, Dunkerque, en Essonne, à Nantes, en région Auvergne-Rhône Alpes, en Drôme, à Lyon, à Paris.
Des participant·es externes belges ont été invité·es dans le cadre d’un forum ouvert autour des pratiques en matière de droits culturels. Les échanges d’expériences entre Belgique et France ont été riches et variés, qu’il s’agisse des enjeux de mobilisation et de culture commune autour des droits culturels, de la question de l’impact et de l’évaluation de l’effectivité des droits culturels, des tensions entre management et droits culturels, etc. Le lendemain, des exposés autour du plaidoyer, de l’interdépendance et l’indivisibilité des droits fondamentaux ont été partagés par Mylène Bidault et Patrice Meyer-Bisch de l’Observatoire de la diversité et des droits culturels à Fribourg, ainsi que Dragana Korljan qui officie au Haut-Commissariat des Droits humains aux Nations Unies à Genève. Des ateliers thématiques autour des dimensions culturelles des autres droits humains ont été déployés avec des interventions de Laurence Cuny et Jean-Pierre Chrétien-Goni autour des libertés artistiques, de Magali Ramel autour des droits à l’alimentation, d’Anne-Catherine Lorrain autour du numérique et des biens communs, de Christine Mahy autour de la grande pauvreté et l’accès aux droits de base, de Basil Gomes autour du droit à l’identité linguistique et culturelle des personnes sourdes.
Le mercredi 7 en soirée, les participant·es ont pu écouter des chargé·es de projet du centre culturel de Forest, le Brass, et du centre culturel d’Evere, l’Entrela’. L’occasion a été prise pour partager autour d’actions visant à plus grande effectivité des droits culturels que ce soit Ecran total avec des jeunes et en milieu numérique au Brass, ou le Quartier durable City Zen avec des citoyen·nes autour d’un potager collectif avec l’Entrela’.
Avec cette dimension internationale, nous croisons la dimension locale du territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans lequel s’inscrit la Plateforme avec la recherche participative menée avec les Centres culturels de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour insister sur le plaidoyer pour les droits culturels et à la suite de notre article « Les droits culturels au coeur des politiques culturelles? » et du rapport « Un futur pour la culture » de juillet 2020, nous reprenons en ce sens le discours que Mme Bénédicte Linard, Ministre de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles a énoncé lors de la journée de l’éducation permanente ce vendredi 21 octobre 2022 à la Marlagne. Ce discours appuie l’importance des droits culturels et leur diffusion à travers les politiques culturelles des différents secteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en particulier l’éducation permanente. Un bel exemple de plaidoyer en faveur des droits culturels !
« Bonjour à toutes, bonjour à tous,
La dernière « Journée de l’éducation permanente » a eu lieu en 2014. Il y a donc presque 10 ans. En une décennie, notre monde, notre société a été radicalement bouleversée.
Peu d’entre nous auraient pu il y a 10 ans prévoir la crise sanitaire que nous avons traversée et qui nous a toutes et tous profondément marqués. Qui aurait pu imaginer qu’elle serait suivie d’une invasion de la Russie en Ukraine, engendrant une crise énergétique inédite.
Crise sociale, crise démocratique, crise climatique… Ces crises successives ont un impact majeur sur notre société, sur nos relations aux autres, sur notre démocratie, sur notre « vivre ensemble ». Elles nous obligent à redéfinir nos priorités, elles nous obligent à repenser notre rapport aux autres et au monde. Non, on ne peut pas continuer à faire « comme on a toujours fait ».
Je sais que beaucoup d’entre vous attendaient cette journée. Je suis convaincue que le secteur avait ce besoin de se réunir, de « faire corps« ensemble. Une rencontre « en vrai », loin des écrans, qui permet ces échanges informels et pourtant oh combien importants. C’est le premier objectif de cette Journée.
C’est la première fois que cette journée est organisée grâce à une collaboration entre le Service, la Fédération sectorielle (FESEFA), le Bureau du Conseil Supérieur de l’Éducation Permanente et l’Inspection. J’ai eu l’écho d’une bonne ambiance de travail. Je me réjouis de cette belle collaboration et félicite les organisatrices et les organisateurs pour le riche programme de cette journée !
Cette Journée a aussi été conçue dans la perspective de l’organisation d’une seconde, « en rebond » à celle-ci, l’an prochain. Il ne faudra donc pas attendre 10 ans pour nous retrouver. C’est plutôt une bonne nouvelle !
Franck Lepage, dans sa conférence gesticulée « L’éducation populaire, monsieur, ils n’en ont pas voulu » raconte comment, en France, l’éducation populaire a été exclue du Ministère de la Culture et ce dès sa création.
Ce n’est pas le cas en Fédération Wallonie Bruxelles, et c’est une très bonne chose !
Cela signifie que la critique de la société, la critique du pouvoir, les luttes sociales, politiques, environnementales ont une dimension culturelle. Cette présence de l’éducation permanente au sein de mes compétences de ministre de la Culture signifie que la culture de la démocratie est une des fonctions essentielles des politiques culturelles.
Vous le savez mieux que moi, l’Éducation permanente est un des secteurs culturels qui est le plus en contact avec les autres politiques publiques – le logement, la santé, le milieu carcéral, le travail social, l’alimentation, l’enseignement, l’environnement, – et ce secteur est traversé par des questions de société majeures : les luttes contre les discriminations, la décolonisation, la lutte contre la pauvreté…
L’Éducation permanente a, en quelque sorte, unpied dans la culture et un pied dans les autres politiques publiques, ce qui lui donne la capacité de ramener au centre des préoccupations de l’ensemble des secteurs culturels, les luttes, les combats de l’ensemble de la société… Et, de la sorte, garantir que jamais le secteur culturel ne « sera hors sol », que jamais la fonction des politiques culturelles ne soient simplement celles de « vernir » et cacher les rugosités, les aspérités, les conflits de notre société. Ces rugosités, ces aspérités, ces conflits doivent être « apparents », ils doivent être abordés, questionnés, débattus et mis en lumière pour que la démocratie fonctionne.
L’Éducation permanente est fondamentalement un secteur de « contre- pouvoir », il permet que le pouvoir politique ait face à lui des interlocutrices et interlocuteurs structurés, vigilants, issus de la société civile.
L’Éducation permanente consolide, renforce, arme la société civile, le tissu associatif, augmente ses capacités d’expression. En ce sens il est aussi une réponse à la crise de la représentativité et de la confiance envers le monde politique que traverse nos systèmes démocratiques.
Au sein de l’éducation permanente, chacun est reconnu comme autrice et auteur de changement, et ce secteur fait vivre un espace de débat entre les citoyennes, les citoyens et les décideurs politiques.
J’invite donc les associations d’Éducation permanente à chercher toujours plus le contact et à travailler dans le cadre de partenariats avec d’autres opérateurs culturels et à y infuser leurs logiques d’action participative. Chacun a à y gagner.
La présence de la présidente du Conseil supérieur de l’éducation permanente au Conseil Supérieur de la Culture vise à établir cette porosité entre le secteur de l’EP et les autres secteurs de la culture qu’on a eu trop tendance à séparer. Et je salue d’ailleurs la présence aujourd’hui de la vice-présidente du CSC, un indice qui montre que cette transversalité, ce décloisonnement, devient concret.
Mon souhait, c’est de voir naitre toujours plus de partenariats et de transversalité entre des associations d’éducation permanente et des bibliothèques, des musées, des théâtres, des compagnies, des artistes, etc. C’est ce qui a été proposé par les deux appels à projet “Un futur pour la culture” ouverts à tous les acteurs culturels, y compris l’éducation permanente.
Je le disais, l’éducation permanente entre pleinement dans les politiques culturelles, et en tant que Ministre de la Culture, je veux marquer mon action en œuvrant à décloisonner ce secteur culturel.
Outre la question de la transversalité, vous le savez, depuis que je suis Ministre de la Culture, la question de l’accès à la culture est aussi une de mes priorités.
Mais cette question – et c’est important ! – je ne l’aborde pas uniquement comme l’accès à des spectacles, des expositions, des concerts, via un travail de médiation. Il est en effet essentiel que cet accès à la culture soit entendu comme une participation, comme un accès aux moyens d’expression culturelle pour le plus grand nombre et notamment pour les personnes minorisées.
Je terminerai en rappelant qu’il y a en Belgique francophone une véritable culture de l’Éducation permanente, un héritage, un ancrage que beaucoup nous jalousent. Cet héritage, nous devons en être fiers et le valoriser.
L’éducation permanente est à mes yeux un enjeu primordial dans notre démocratie, et elle a toute sa place au cœur de nos politiques culturelles. Travailler « au rapprochement entre les lieux de décision et les personnes », c’est d’ailleurs en ces termes que le Conseil Supérieur de l’Éducation permanente identifie la mission des associations d’Éducation permanente. C’est aujourd’hui un enjeu démocratique majeur, dans un contexte où il nous faut recréer du lien, au sein de la société, ainsi qu’entre les citoyennes et citoyens et le monde politique, face aux nombreuses crises et enjeux actuels majeurs.
Je vous remercie. »
Bénédicte Linard, ministre de la Culture et vice-Présidente du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Le dialogue sera l’occasion d’exposer les enjeux fondamentaux de la Déclaration de Fribourg en termes de droits culturels et de plaidoyer tant au niveau international que local, et ce, au même titre que les autres droits humains fondamentaux.
Nous reviendrons également sur la situation en Belgique francophone, notamment par le biais de la recherche participative menée par la Plateforme d’observation des droits culturels avec les Centres culturels autour de leur décret de 2013 faisant de multiples références explicites aux droits culturels.
Modération: Maryse Hendrix, coordinatrice culture chez Amnesty
Samedi 17 septembre 2022
de 14h à 15h30
Université de Namur, 94 rue de Bruxelles à 5000 Namur
Ouverte à tous·tes mais inscriptionobligatoire et contribution de 5 à 10€.
À l’occasion de la parution du livre Cent ans d’associatif en Belgique… Et demain ?
Le Collectif 21, Culture & Démocratie et la librairie Météores vous invitent à une soirée de discussion sur les dynamiques associatives et tout particulièrement celles des lieux de soin et de santé.
Nous nous intéresserons aux secteurs des maisons médicales, des maisons et services de santé mentale, comme autant de laboratoires pour penser les possibilités associatives.
Nous aborderons les enjeux liés à l’évolution de ces structures, aux relations nouées avec les politiques publiques et aux militantismes face à elles, à la participation des travailleurs et des populations.
La Plateforme a été invitée à contribuer à Santé conjuguée1, la revue de la fédération des maisons médicales à l’occasion de son 40e anniversaire. L’article présente une généalogie des droits culturels visant à tisser des liens avec les secteurs du soin et de la santé.
Si l’on compare la Déclaration d’Alma-Ata, la Charte d’Ottawa ou la Déclaration de Jakarta avec les référentiels des droits culturels tels que la Déclaration de Fribourg ou le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, on constate à quel point ces textes construisent un sens commun.
Les pratiques de soin s’établissent et varient selon l’ordre social, politique et culturel, les acteurs et actrices de terrain et les institutions de la santé appartenant à des luttes politiques et sociales autant qu’ils s’inscrivent dans un milieu culturel selon leurs représentations. Pensons aux multiples conceptions de la maladie, de la souffrance et de la santé, pensons aux divers modèles, structures et cadres sociaux qui permettent ou empêchent l’accessibilité aux pratiques de soin, pensons à la circulation de l’information, à l’éducation et la transmission de recherches et de connaissances médicales, qu’elles soient conventionnelles ou alternatives. Et tout ceci en abordant à peine les enjeux propres au dialogue interculturel au sein des relations entre patients et soignants, que ces enjeux soient liés aux incompréhensions et barrières des langues, aux rencontres et conflits de valeurs, aux différences de dispositions corporelles ou de traditions spirituelles2. La liste de tous les facteurs culturels à prendre en compte reste encore à définir si tant est qu’un jour elle puisse être exhaustive ! C’est là un point à souligner : en situant les réseaux d’acteurs et d’actrices, institutions et pratiques de soin au sein de milieux culturels, nous n’en donnons qu’une photographie cadrée sur une partie du paysage et à une période donnée. Il s’agit d’assumer le caractère situé de ce dont nous cherchons à rendre compte, tant au niveau de l’objet que des méthodes déployées. Ce faisant, la démarche doit appeler à l’échange, au décentrement, à l’exercice critique et à la coopération. Ces représentations ou formes culturelles peuvent toujours évoluer ; les réseaux, milieux et circonstances peuvent toujours s’étoffer ; et donc les pratiques de soin, les acteurs et actrices et institutions de la santé peuvent toujours s’améliorer et progresser vers un projet commun3.
Une invitation à collaborer
Mais en ayant ramassé tout cela, nous n’avons fait qu’enfoncer des portes ouvertes tant sont de plus en plus considérées les dimensions culturelles du soin et de la santé. Depuis 1997, la Déclaration de Jakarta sur la Promotion de la santé au XXIe siècle notamment appelle à collaborer de façon multisectorielle autour de la santé, en connectant les politiques de santé avec l’ensemble des autres politiques publiques4. À cet égard, le domaine du droit condense l’ensemble de toutes ces circonstances, tantôt sous forme de leviers, tantôt sous forme de limites à l’action. Ceci, tout en gardant au moins le mérite d’ouvrir la possibilité d’agir, d’avoir des effets sur l’ordre social, politique et culturel. En témoignent, localement en Région wallonne et en Région de Bruxelles-Capitale, les décrets qui fixent les missions et les conditions d’agrément des associations de santé intégrée tout en leur garantissant des moyens financiers pour réaliser leurs missions.
Plus globalement, nous posons l’hypothèse que les droits culturels offrent une perspective innovante parmi d’autres instruments internationaux. Même s’ils n’ont pas directement force de loi, ils constituent des ressources pour analyser les actions menées dans un milieu, pour évaluer les politiques publiques dans un contexte, et ce, dans une perspective culturelle suffisamment large pour inclure les réseaux de pratiques de soin, d’acteurs et actrices et d’institutions de la santé. Qu’il s’agisse de l’identité, de la diversité, du patrimoine, de la communauté, de la participation, de l’éducation, de la formation, de l’information et de la coopération, on voit déjà combien tous ces paramètres constitutifs des droits culturels peuvent être pertinents pour l’action publique en matière de santé et de soin.
Sur cette base, esquissons une généalogie des droits culturels, ce qui nous permettra ensuite d’ouvrir des pistes de réflexion et donner matière à problématiser les actions du secteur des maisons médicales. Généalogie5, car les droits culturels ne sont pas issus d’une origine unique, ils sont plutôt « éclatés et fragmentés entre plusieurs sources en droit international des droits de l’homme, entre instruments de protection de certaines catégories de personnes et instruments universels » (Céline Romainville parle de « nébuleuse de droits fondamentaux » et en appelle à une clarification)6. Il s’agit ici de retracer les trajectoires conceptuelles des droits culturels pour en clarifier les tenants et aboutissants, pour en dégager des points de débats entre les différentes filiations. Comme sources de référence, on peut citer :
La Déclaration universelle des Droits de l’Homme (DUDH) de 19487, notamment l’article 22, qui évoque, dans le cadre de la sécurité sociale, « la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à la dignité et au libre développement de [la personnalité de toute personne, en tant que membre de la société] », ainsi que l’article 27 qui, en insistant sur le droit de participer à la vie culturelle8, mais en étant dépourvu de force obligatoire, va fonder toute une trajectoire des droits culturels basée sur l’accès et la participation à la culture.
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels9, texte quant à lui juridiquement contraignant émis par l’Organisation des Nations unies (ONU) en 1966, va prolonger ces droits économiques, sociaux et culturels qu’on appelle aussi la deuxième génération des droits fondamentaux, en reprenant à son article 15 au rang des droits culturels : le droit de participer à la vie culturelle, le droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications, le droit de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique et la liberté scientifique et culturelle.
En Belgique, c’est en 1993 – soit quarante-cinq ans après leur formulation dans la DUDH – que les droits culturels sont intégrés dans la Constitution belge à son article 23, en tant que droit à l’épanouissement culturel et social.
Des instruments universels et régionaux font encore mention plus ou moins explicite des droits culturels. Pensons à la Déclaration universelle de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) sur la diversité culturelle de 2001 qui, si elle élargit la notion de culture à « l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social et qu’elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeur, les traditions et les croyances », rapproche les droits culturels des enjeux propres à la diversité, aux débats sur l’identité et le pluralisme.
D’autres sources appellent à une extension du qualificatif « droits culturels » à d’autres droits tels que le droit à l’éducation, les droits linguistiques ou la liberté de culte, voire l’ajout de nouveaux droits à cette catégorie de « droits culturels » tel que le droit à l’identité culturelle.
Des sources multiples
Elles contribuent à la nébuleuse conceptuelle. Toutefois, l’on pourrait schématiser deux trajectoires conceptuelles majeures des droits culturels pouvant être mises en débat entre elles : celle de l’accès et la participation à la culture, et celle de l’identité et de la diversité. L’une défendue par Céline Romainville et l’autre par le Groupe de Fribourg en la personne de Patrice Meyer-Bisch ne sont certainement pas contradictoires. Disons que leur méthode de recherche et leur effectivité sont différentes, la première est plutôt juridique avec une analyse fine des textes de loi qui cherche à avoir des effets légaux et politiques, le deuxième reste ancré dans le droit, mais davantage pour le problématiser philosophiquement et avoir des effets sur les représentations. Des points de débats concernent entre autres :
La définition que l’une et l’autre trajectoire donnent de la culture avec, pour Romainville, une lecture plus restrictive centrée sur les beaux-arts et le patrimoine, et pour Meyer-Bisch, une lecture plus englobante du phénomène culturel qui est inspirée de l’anthropologie.
Le questionnement de la centralité des enjeux liés à l’identité culturelle et aux modes de vie dans les droits culturels étant donné que ceux-ci sont déjà protégés par le principe de non-discrimination dans la DUDH.
La réelle effectivité des droits culturels étant donné leur caractère général et abstrait, ainsi que la difficulté à traduire ceux-ci en politiques culturelles et dans les pratiques.
De ces débats, on peut retirer des raisons et des moyens pour stimuler l’intervention sociale et l’innovation en matière de politiques publiques. Ainsi, le décret du 21 novembre 2013 relatif aux centres culturels10 est un résultat visible et incarné dans le droit communautaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Si le texte reste complexe dans son appropriation11, en pratique il permet que se développent un surcroît de sens et de créativité des actions à travers l’observation et des outils d’évaluation au regard des droits culturels de même qu’un partage plus organique et ancré des territoires d’action à travers des logiques de coopération entre partenaires socioculturels. Dans ce secteur, les droits culturels se font levier du pouvoir d’agir des acteurs et actrices de terrain et des populations à la mesure que ces droits sont intégrés dans les pratiques. De manière transversale, ils permettent de mettre en lumière la question des langages dans les pratiques, la nécessité et l’effort de traduction entre les codes formels et informels, théoriques et pratiques, institutionnels et de terrain ; les questions du temps et du plaisir à prendre dans les actions menées pour favoriser un épanouissement des participants et des acteurs ; enfin, la question de leur responsabilité autant celle des élues et élus et des institutions. Certes, les secteurs des centres culturels et des maisons médicales divergent dans leur visée et leur action, néanmoins, et on le retrouve dans ces aspects transversaux, ils convergent vers le projet social, politique et culturel commun d’une société plus accessible, participative et engagée sur des valeurs, des libertés et des devoirs. De là, à se servir des droits culturels comme support d’analyse et de réflexion de l’action des maisons médicales, il n’y a qu’un pas…
Une responsabilité partagée
À dire vrai, ce pas est à prolonger plus qu’à impulser. Cela suppose une participation intersectorielle de nombreux acteurs et actrices socioéconomiques et politiques au-delà de la santé et de la culture.
Les gouvernements ont des obligations envers les titulaires de droit, mais aussi envers les institutions qu’ils doivent soutenir afin d’œuvrer équitablement à la protection sanitaire et au patrimoine culturel. De façon complémentaire, les acteurs et actrices et les titulaires ont aussi une responsabilité envers leurs institutions de santé et de culture. Tant pour la culture que pour la santé, il est nécessaire d’avoir des visions à court, moyen et long terme quand on observe la diffusion des premiers textes au sortir de la Deuxième Guerre mondiale et leur rayonnement actuel qui est encore à amplifier dans la perspective d’un développement durable. Pour ce faire, il faut considérer les enjeux identitaires et communautaires en termes de santé et de culture. Il faut favoriser l’information, l’éducation, l’autonomie, la participation et la coopération des acteurs et actrices et des expertises. Tout ceci pour tâcher de faire commun à travers les pratiques, pour développer ensemble des institutions ouvertes à la diversité.
Un point de travail en ce sens serait le développement de « compétences transculturelles cliniques »12, ce que peut soutenir l’anthropologie médicale à travers une problématisation de la culture ainsi que les droits culturels en tant que supports d’analyse et d’évaluation de l’effectivité des actions menées.
8. La Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles viendra en 1982 préciser ce que l’on peut comprendre par « vie culturelle en la détaillant en termes de patrimoine culturel, de création artistique et intellectuelle et d’éducation artistique, etc. », https://unesdoc.unesco.org.
9. http://www.ohchr.org. On pourrait également citer le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, également adopté en 1966 par l’ONU, qui précise d’importantes composantes du droit de participer à la vie culturelle.
10. Moniteur belge, 29 janvier 2014.
11. Une recherche participative que je coordonne accompagne les centres culturels en vue d’intégrer les référentiels des droits culturels au sein des actions culturelles et de développer l’effectivité de ces droits dans les pratiques : https://plateformedroitsculturels.home.blog/.
12. P. Hudelson « Que peut apporter l’anthropologie médicale à la pratique de la médecine ? », Santé conjuguée n° 48, octobre 2008.