Il s’agit d’une action culturelle développée par le centre culturel depuis 2016, en partant du constat qu’aucune de leurs actions ne touchait des bénéficiaires du CPAS (Centre Public d’Action Sociale). Une fois par semaine, la directrice du centre culturel et une animatrice du CPAS de Genappe accompagnent un groupe d’une quinzaine de personnes pour une sortie culturelle : visite d’un musée, spectacle, film, atelier créatif, café philo, etc. (collaboration avec des lieux culturels locaux tout autant que visites plus dépaysantes). L’enjeu principal du territoire auquel répond ce projet est la lutte contre l’isolement, ou plus précisément « lutter contre toute forme d’isolement en favorisant la rencontre, avec une attention particulière à la mixité des publics ». Son objectif général est de mettre en place des dispositifs favorisant l’échange et la rencontre à travers des actions socio-culturelles ou socio-artistiques.
En tant qu’animatrice du groupe depuis cinq ans, Émilie Lavaux est aux premières loges pour observer directement les effets de l’action, à court, moyen et long terme sur les Rout’arts, l’évolution de leur mobilisation des droits culturels. Outre ces observations directes, alimentées par des échanges informels lors de chaque séance, des évaluations sont réalisées avec les participant·es deux fois par an, en fin de semestre. Plusieurs dispositifs d’animation ont été expérimentés au fil des ans (photo-langages, questions ouvertes, etc.). Le plus parlant est de demander à chacun·e de compléter des phrases du type « J’ai découvert… », « J’ai été ému·e/choqué·e/surpris·e par… » qui permettent de s’interroger sur les vécus et ressentis collectifs et individuels. L’inscription de l’action dans les enjeux du territoire et par rapport à l’exercice des droits culturels est évaluée au moins annuellement par l’équipe et les instances, notamment à l’occasion de l’écriture du rapport d’activités. Un bilan plus global a été effectué après cinq ans.
Une grande interrogation du centre culturel (et une attente envers la collaboration avec la Plateforme) se situe d’ailleurs dans l’appropriation (ou la création) de moyens et outils pour réaliser ce même genre d’observations au sein d’un groupe beaucoup plus vaste, ou concernant des événements plus ponctuels.
Au fil de ces rendez-vous hebdomadaires – et alors que leurs pratiques culturelles étaient souvent très limitées jusque-là, de par leur isolement et leur précarité, notamment – les Rout’arts exercent leur droit d’accès à la culture et à l’information en matière culturelle, dont les conditions sont assurées par le centre culturel. L’accès économique est garanti par la gratuité des activités ; l’accès physique et géographique par l’organisation des transports (camionnette, autobus, train) et la réservation des activités ; l’accès temporel par un horaire adapté à leurs réalités socio-économiques (souvent innocupé·es) ; l’accès symbolique ou intellectuel par une importante médiation déployée (guides, discussions en amont pour rassurer sur les codes sociaux et culturels des lieux visités, etc.)
Ils et elles découvrent, expérimentent et développent des pratiques culturelles qui leur étaient jusque-là peu familières. Certain·es se sont ainsi rendu·es pour la première fois au théâtre ou à l’opéra, ce qui provoque parfois des émotions intenses, pas toujours évidentes à gérer. D’autres ont découvert qu’il·elles avaient droit à des tarifs réduits dans de nombreux lieux culturels via les Articles 27 distribués par le CPAS et ont commencé à les utiliser indépendamment du cadre proposé par le centre culturel. Sur le long terme, beaucoup de Rout’arts se sont investi·es dans divers projets citoyens et participatifs (bénévolat au centre culturel, Télévie, boites à cadeaux, etc.) L’une d’entre elle a même lancé son propre projet de lutte contre l’isolement, les « jeudi papote » au centre culturel. Si certains individus s’autonomisent et s’investissent ailleurs, ce n’est pas le cas du collectif qui ne montre aucune volonté d’indépendance, malgré les efforts mis en place. Par exemple la proposition que le groupe (ou une partie) prenne en charge la réservation des activités et/ou des transports n’a pas pris. Même au niveau de la convivialité, il·elles aiment se retrouver ensemble pour discuter, boire un verre ou manger un morceau avant ou après l’activité proposée, mais si le centre culturel ne l’encadre pas, cela ne se fait pas. Une partie du groupe s’est lancée en 2019-2020 dans un atelier de théâtre-action, où elle a développé largement sa liberté d’expression créative, travaillé son estime de soi. D’autres se contentent de participer de manière plus ou moins assidue et enthousiaste aux activités proposées, en évitant parfois sciemment celles qui ont un versant plus créatif, tout en profitant du moment de convivialité.
Cette sociabilisation est un élément essentiel de l’action : le plaisir de la découverte culturelle est accentué par le plaisir de le faire avec les membres du groupe, qui apprennent à se connaître au fil du temps, au point de créer une véritable cohésion de groupe. Chez les Rout’arts, la construction de cette identité de groupe, le développement de cette nouvelle communauté culturelle à laquelle il·elles adhèrent librement ne se limite pas à un sentiment interne. Au départ il·elles s’identifiaient et étaient identifié·es comme « le groupe du CPAS », avant de devenir le « groupe des Rout’arts », (re)connu comme tel par le centre culturel et ses partenaires, mais aussi les autres habitant·es du village. En termes de regard sur soi et de dignité, il s’agit d’un pas énorme.
Le droit de participer à l’élaboration et la mise en œuvre des programmes est également travaillé et de plus en plus exercé par les Rout’arts. Ils et elles ont en effet force de proposition et de décision concernant la programmation des activités du semestre à venir. Les propositions sont de plus en plus abondantes, ce qui pourrait démontrer une progression de l’accès à l’information en matière culturelle : où la trouver, de quelle manière ? Même si une ouverture à d’autres manières d’envisager le monde, à travers les arts, le patrimoine, etc., est clairement travaillée au sein du groupe, la progression de l’esprit critique et des capacités de débat n’est pas manifeste.
Il est important de remarquer que la cessation complète des activités en présentiel due à la crise sanitaire a fortement impacté cette action, interrompue de longs mois. Un suivi a été proposé en ligne avec diverses activités en live Facebook, afin d’entretenir la cohésion de groupe et ne pas laisser les membres retomber dans l’isolement. Cependant, le succès fut mitigé, les participant·es n’ayant pas toujours les outils numériques à leur disposition ou une maitrise suffisante, et se montrant peu assidu·es lorsque c’était le cas.
Plus d’informations ICI et dans le Rapport d’activités du centre culturel de Genappe 2019, pp. 67-74.