À la suite de l’article sur le Neuf essentiels – Pour comprendre les « droits culturels » et le droit de participer à la vie culturelle, nous ouvrons un chantier qui reprend les différents référentiels des droits culturels, les présente sommairement et les met en dialogue en vue de faire culture commune autour de ces notions. Premier référentiel : le droit à la culture défendu par la juriste Céline Romainville, professeure en droit constitutionnel à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (UCL).
En Fédération Wallonie-Bruxelles, le droit à la culture est cité dans le décret des centres culturels du 21 novembre 2013 et par divers·es acteur·ices du secteur. En quelques mots, le droit à la culture correspond à une lecture juridique des diverses sources de définition des droits culturels éparpillées dans différents textes internationaux et nationaux, des instruments universels et de grandes institutions telles que l’UNESCO. L’objectif de ce droit est de clarifier la nébuleuse de références afin d’assurer une portée juridique et une opérationnalisation politique des droits culturels.

L’ouvrage Le droit à la culture, une réalité juridique est tiré de la thèse de doctorat soutenue en 2011 à l’Université catholique de Louvain par Céline Romainville, alors chargée de recherches du FNRS et chargée de cours à l’UCL, l’Université Saint-Louis-Bruxelles et l’Université libre de Bruxelles.
L’objectif de l’ouvrage
La thèse vise à définir, en droit des droits fondamentaux et en théorie du droit, le droit de participer à la vie culturelle, les obligations qu’il implique pour l’État et les prérogatives qu’il induit pour ses titulaires.
Voici un extrait de la partie I consacrée au concept de culture et à la légitimité des politiques culturelles:
« Après une étude des différentes acceptations du concept de culture, nous avons montré que la culture se comprend surtout par rapport au travail sur le sens des expériences humaines et sociales qu’elle construit et qu’elle incarne. […] La culture est essentielle pour le développement des capabilités* des individus et pour la construction de leur identité.
La réception juridique du concept de culture n’en reflète que certaines acceptations. En effet, le système juridique et le droit des droits fondamentaux doivent appréhender la culture en fonction de leurs rôles particuliers (respectivement : ordonner le réel et garantir un certain nombre de ressources à tous les individus). Ainsi, le concept de culture privilégié par le droit et les droits fondamentaux a trait à l’ensemble des créations artistiques et des patrimoines culturels, qui incarnent la culture au sens de travail sur le sens des expériences humaines et sociales dans des réalisations concrètes, dans des processus créatifs déterminés, dans des méthodes particulières, dans une posture d’expressivité et d’analyse critique.
La reconnaissance d’un droit à la culture emmène forcément la mise en œuvre de politiques culturelles dont l’objectif est de soutenir la diversité, de favoriser l’accessibilité et la participation à la culture. […] L’exigence de justice en matière culturelle ne concerne pas seulement les actions de l’État visant à soutenir la diversité culturelle. Elle concerne également, et surtout, les politiques visant à assurer une participation de chacun aux structures culturelles qui permettent à l’individu d’advenir à lui-même et de déployer ses possibilités de création. […] L’exigence de justice implique que l’État instaure des espaces de coopération de travail sur les sens, un authentique espace public culturel. » (p. 189-191 de l’ouvrage)
Le cœur de l’ouvrage
La thèse est constituée d’une analyse descriptive, explicative et évaluative de la reconnaissance, de la portée, de l’effectivité et de la légitimité du droit de participer à la vie culturelle. Afin de rendre possible une analyse juridique rigoureuse et précise, l’étude s’est limitée à trois domaines en particulier : la création artistique, le patrimoine et l’Éducation permanente.
Le livre aborde successivement les sources juridiques du droit de participer à la vie culturelle et leur portée, l’objet de ce droit, les prérogatives et les obligations qui en découlent, ses titulaires et ses débiteurs.
Voici un extrait de la partie II consacrée à la reconnaissance du droit à la culture :
« Sur base de la mise en relation de l’ensemble des sources du droit à la culture, l’identification des éléments du régime juridique du droit à la culture a été réalisée […] en droit international et en droit constitutionnel [belge].
L’objet du droit à la culture a été défini comme s’étendant à la diversité des expressions culturelles, c’est-à-dire à l’ensemble des pratiques et des œuvres, des activités socio-culturelles et des éléments du patrimoine qui expriment, par des procédés artistiques, créatifs, critiques et expressifs, une recherche sur le sens des expériences humaines et sociales. Les prérogatives qui s’exercent sur cet objet sont les suivantes : liberté artistique ; droit au maintien, à la conservation et au développement des cultures et des patrimoines ; droit d’accéder à la culture ; droit de participer à la culture ; liberté de choix et droit de participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques culturelles. L’identification des prérogatives allant de pair avec celle de leurs titulaires […], le droit à la culture est un droit individuel à forte dimension collective, c’est pourquoi il s’exerce en grande partie en association et en groupe.
Enfin, les obligations qu’emporte le droit à la culture ont été définies en recoupant les prérogatives dégagées avec la théorie générale des obligations de respecter, protéger et réaliser. Ces obligations reposent sur les épaules d’un ensemble de débiteurs qui constituent les collectivités publiques. Elles sont particulièrement importantes dans le cas des collectivités compétentes en matière culturelle. » (p. 525-526 de l’ouvrage).
La justiciabilité du droit à la culture
Enfin, l’ouvrage se développe autour d’une réflexion sur l’effectivité du droit de participer à la vie culturelle qui mobilise une analyse du droit des politiques culturelles.
Voici un extrait de la partie III consacrée à la justiciabilité du droit à la culture :
« Le principe de standstill est apparu […] particulièrement fécond pour le droit à la culture. Pourtant, ce principe n’a été appliqué qu’à de très rares occasions au droit à la culture, ce qui n’a pas manqué de nous étonner mais qui est sans nul doute explicable par l’imprécision qui caractérisait le droit à la culture. […]
La portée du principe de standstill induit du droit à la culture est identique à celle induite d’autres droits : elle est relative et soumise à l’exigence de recul sensible que l’on n’a pas manqué de contester bien qu’elle fasse désormais l’objet d’une d’un consensus jurisprudentiel certain. Mais les réels obstacles à un déploiement adéquat de l’obligation de standstill induite du droit à la culture résultent de l’absence d’évaluation législative du droit public de la culture et du défaut d’indicateurs relatifs au droit à la culture. […]
Dès lors que les politiques culturelles sont ancrées dans le droit à la culture, nous avons l’intuition que le principe de standstill peut, s’il est accompagné d’un développement du droit procédural des politiques culturelles (évaluation et indicateurs) et d’une précision des autres effets du droit à la culture (intangibilité, noyau dur, dimension objective), devenir un axe de défense et de refondation des politiques culturelles, notamment au plan européen. » (p. 827-828 de l’ouvrage)
Pour compléter cette présentation du droit à la culture :
Pour aborder les développements de Céline Romainville par un autre support, nous renvoyons à l’intervention donnée par cette dernière dans le cadre du séminaire interdisciplinaire « Droit de participer à la vie culturelle et politiques culturelles » organisé par Culture & Démocratie à PointCulture Bruxelles en décembre 2013.
Pour compléter les réflexions
De nos archives, nous ressortons l’article de Céline Romainville, Le droit à l’épanouissement culturel dans la Constitution belge, tiré du journal 19 de décembre 2008. Le journal est accessible à partir de ce lien sur le site de Culture & Démocratie et le fichier numérique de ce journal est téléchargeable ici.
Par ailleurs, nous renvoyons à différentes publications de la revue Repères de l’Observatoire des Politiques Cultures de la Fédération Wallonie-Bruxelles dit OPC, en particulier :

Le numéro 1 consacré au droit à la culture & la législation relative aux centres culturels, coordonné par Céline Romainville en mai 2012.

Les numéros 4-5 consacrés à la démocratie culturelle & démocratisation de la culture, coordonnés par Céline Romainville et postfacés par Roland De Bodt en juin 2014.
*Capabilité: ce terme, qu’on aurait pu traduire par « capacité » en français, mérite néanmoins les honneurs d’un néologisme car il contient, à lui seul, l’essentiel de la théorie de la justice sociale développée par l’économiste et philosophe Amartya Sen depuis les années 1980. Son écho auprès des instances internationales et des acteur·ices du développement humain en fait aujourd’hui une des raisons pour lesquelles le développement d’un pays ne se mesure plus seulement à l’aide du PIB par habitant·e. Selon A. Sen, comme pour Martha Nussbaum, la « capabilité » désigne la possibilité pour les individus de faire des choix parmi les biens qu’ils jugent estimables et de les atteindre effectivement. Les « capabilités » sont, pour ces auteur·ices, les enjeux véritables de la justice sociale et du bonheur humain. Elles se distinguent d’autres conceptions plus formelles, comme celles des « biens premiers » du philosophe John Rawls, en faisant le constat que les individus n’ont pas les mêmes besoins pour être en mesure d’accomplir le même acte : un hémiplégique n’a aucune chance de prendre le bus si celui-ci n’est pas équipé spécialement. (Tiré du site Sciences humaines, https://www.scienceshumaines.com/capabilites_fr_29433.html)
4 commentaires sur « Référentiels – Le droit à la culture, Céline Romainville »